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YouTubeurs approchés pour dénigrer Pfizer: infox, mode d'emploi

Payer des YouTubeurs pour dénigrer les vaccins occidentaux : une mystérieuse tentative récemment dévoilée a mis en lumière les méthodes typiques des campagnes de désinformation via les réseaux sociaux et l'importance de la "diplomatie du vaccin". Avec, comme souvent, les yeux qui se tournent vers la Russie.

L'opération a été immédiatement dénoncée par les influenceurs approchés par l'agence de communication "Fazze" : "Ce matin j’ai reçu une demande de partenariat qui m’a grave choqué, je suis obligé de vous en faire part", a twitté le 20 mai l'humoriste Sami Ouladitto, 400.000 abonnés.

Deux autres Français mais aussi l'Allemand Mirko Drotschmann (1,5 million d'abonnés) ont décrit le même scénario: pour le compte d'un "client" anonyme, il faut expliquer "que le taux de mortalité parmi les personnes vaccinées au Pfizer est presque trois plus élevé que pour AstraZeneca".

Le tout basé sur une fausse allégation récurrente, qui voudrait que les vaccins soient responsables de milliers de décès.

"On est dans la +fake news+ typique, dans un classique de la propagande", relève Sylvain Delouvée, spécialiste de la désinformation et du complotisme à l'Université Rennes-2, qui note qu'en l'occurrence, ses créateurs ne se sont pas embarrassés de "subtilité".

Peu importe, ajoute l'expert, parce qu'ils se disent : "même si ça échoue, de toute façon ça sera bénéfique quand même, car je dirai que ce n'est pas moi, et que si je l'avais fait, il est évident que j’aurais été plus intelligent".

- Infox clé en mains -

L'argumentaire est en effet fourni clé en mains par mail, éléments de langage et liens internet compris.

On y retrouve la rhétorique typique de la désinformation : "dites que les médias +mainstream+ ignorent cette thématique et que vous avez décidé de la partager avec vos abonnés", "présentez ce contenu comme votre opinion indépendante", "ne dites pas que c'est une vidéo sponsorisée"...

L'agence fournit aussi un tableau des prétendus "morts des vaccins" dans dix pays, censé avoir "fuité" de chez AstraZeneca.

Depuis des semaines, on retrouve abondamment sur internet ce type de comptabilités trompeuses : les décès recensés parmi les vaccinés sont dans l'immense majorité des cas sans lien avec l'injection. De plus, les données ne sont pas comparables entre pays, les différents vaccins n'ayant pas été administrés aux mêmes catégories de population ni selon le même calendrier.

Interrogé par l'AFP, AstraZeneca "condamne fermement toute initiative cherchant à saper la confiance dans les vaccins "et "nie catégoriquement toute (...) implication dans de telles activités".

- A qui profite le crime ?

Les yeux se sont immédiatement tournés vers la Russie, accusée par les Occidentaux depuis la présidentielle américaine de 2016 d'être derrière des campagnes de manipulation politique via les réseaux sociaux.

D'autant que le 23 avril, on pouvait lire sur le compte Twitter du vaccin russe Spoutnik V : "significativement plus de décès avec le vaccin Pfizer/BioNTech qu'avec l'AstraZeneca", et même trois fois plus selon les chiffres présentés, en partie les mêmes que ceux du tableau fourni par Fazze.

Un rapport publié peu après par la diplomatie européenne avait d'ailleurs accusé Moscou et Pékin de s'être lancés dans des campagnes de "dénigrement" des vaccins approuvés par l'UE afin de placer les leurs. Le 8 mars, Washington avait dénoncé une "désinformation" russe sur les vaccins américains.

"Les vaccins (ont) acquis une vraie dimension géopolitique depuis l’an dernier", note Julien Nocetti, spécialiste de la guerre de l'information et de la Russie à l'Ifri (Institut français des relations internationales), rappelant que "dénigrer ce que font les Occidentaux est très caractéristique des Russes".

"Cet épisode -s'il est avéré- rentrerait bien dans dans ce cadre-là", juge-t-il.

Outre un "coût humain et financier très modeste", "l'autre avantage de ce type d'opération, c'est la difficulté à les attribuer". Malgré des "indices concordants", "il y aura toujours un pourcentage de doute qui fait que l'Etat ciblé va très rarement réagir, car vous avez potentiellement un risque d'escalade diplomatique”, relève le chercheur.

Le ministre de la Santé Olivier Véran a parlé mardi d'épisode "minable" et "dangereux" sans se prononcer sur son origine.

"Ce qui est peut-être plus inédit, c’est le fait de cibler des influenceurs" avec l'idée que "ce sont des jeunes gens qui n'ont aucun lien avec la grande politique, et donc potentiellement perméables à des campagnes d'influence", note aussi M. Nocetti. Ce qui permettrait, à la Russie comme à d'autres, "de rendre +mainstream+ cette guerre d’information" via des relais "grand-public".

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