Accueil Actu

"Ecrivez partout!": en 68, le printemps des slogans

"Il est interdit d'interdire", "Sous les pavés la plage", "Jouissez sans entraves": provocateurs, drôles ou poétiques, les slogans qui ont fleuri sur les murs parisiens en Mai 68 ont contribué à forger le mythe de ce moment historique.

"On a pris la parole comme on a pris la Bastille en 1789", analyse l'intellectuel Michel de Certeau dès juin 1968.

"Cette grande palabre collective s'imprime sur les murs, avec les graffitis", souligne l'écrivain Yves Pagès qui vient de publier un livre recensant "50 ans d'aphorismes urbains, de 1968 à nos jours".

"Ecrivez partout", lit-on sur les murs du centre universitaire Censier.

Très tôt, les acteurs du mouvement ont conscience de la valeur de ces inscriptions. "Brûlons la Sorbonne. Mais avant sauvons les graffitis, c'est un trésor à ne pas perdre", écrivent des étudiants dans un hall de la faculté au printemps 1968.

La mère d'Yves Pagès, qui travaille dans un laboratoire de psychologie sociale du Quartier latin recense méthodiquement les inscriptions de mai et juin 1968 qui tapissent les murs de la Sorbonne et de Censier.

"Comment penser librement à l'ombre d'une chapelle?", peut-on lire dans la cour de la Sorbonne, près de la chapelle.

Un journaliste, Julien Besançon, relève ces inscriptions pleines d'imagination dans la capitale et à Nanterre et les publie dans un petit livre rouge "Les murs ont la parole" (Tchou) paru dès 1968.

Ecrire sur les murs de Paris est à l'époque "très transgressif", souligne l'historien Philippe Artières, directeur de recherches au CNRS. Les écrits dans l'espace public sont surveillés par la police.

Les graffitis se tracent surtout à la craie ou à la peinture, parfois aussi à la bombe.

Les inscriptions les plus subversives viennent d'activistes proches de l'Internationale Situationniste, organisation révolutionnaire créée en 1957, qui aspirait à "changer le monde". "Il est interdit d'interdire", porte leur patte.

- 'Fleur carnivore' -

Saisie par le photographe Henri Cartier-Bresson, l'inscription "Jouissez sans entraves" est aussi "très situationniste et hédoniste", note Philippe Artières.

Certaines inscriptions ont un petit parfum surréaliste : "La société est une fleur carnivore". Sur les murs, on cite Baudelaire, Rimbaud.

L'esprit anarchiste est perceptible dans certains graffitis, avec la devise "Ni dieu ni maître", née à la fin du 19è siècle, et ses déclinaisons.

"Mais la majorité du mouvement de Mai 68 est réformiste, pas révolutionnaire", nuance l'historien.

L'humour est très présent. "Défense d'uriner dans les couloirs sous peine de confiscation du matériel!", peut-on lire à l'Odéon. "Déboutonnez votre cerveau aussi souvent que votre braguette!." "Suppression du droit de vote avant la retraite!."

Ces jeunes, qui n'ont "pas envie de perdre" leur vie "à la gagner" et contestent toutes les formes d'autorité, ont leurs bêtes noires. A commencer par le général de Gaulle qui fustige la "chienlit" de Mai 68. Ils pourfendent aussi les communistes, les "crapules staliniennes".

Avec la police, qui réprime les manifestations étudiantes, c'est la détestation. Le slogan "CRS SS", né pendant les grèves de 1948, reprend de la vigueur et une affiche de l'"atelier populaire de l'ex-école des Beaux-Arts" se charge d'amplifier sa diffusion.

"Ces écrits sauvages, cette déflagration d'inscriptions est à la fois collective et anonyme", relève Emmanuelle Loyer, professeur d'histoire contemporaine à Sciences-Po Paris.

Les inscriptions ne sont pas signées. Mais la naissance du célèbre "Sous les pavés, la plage" a été racontée par son co-auteur Bernard Cousin.

Un soir de mai au café, cet étudiant en médecine propose "il y a de l'herbe sous les pavés" à Bernard Fritsch (alias Killian), publicitaire proche des situationnistes, qui n'aime pas trop. Ils ont alors l'idée de la plage, en pensant à la couche de sable qui se trouve sous des pavés déterrés par les manifestants. Fritsch bombera ce graffiti une centaine de fois dans Paris.

Puis à l'été, l'ordre gaulliste revient. "Les lessivages blancs" font disparaître "les pamphlets noirs et rouges de mai: on repeint", écrit Julien Besançon en 1968. La nostalgie, déjà...

À lire aussi

Sélectionné pour vous