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"Français de souche": une expression ancienne, bannie du langage politique

L'expression "Français de souche" utilisée lundi par François Hollande remonte au XIXe siècle. Mais en la reprenant, le président a joué avec le feu: de banale à l'origine, elle est devenue bannie, au fur et à mesure que l'extrême droite en a fait une des bases de son corpus idéologique.

Lundi soir, lors du dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), le chef de l'Etat a évoqué la profanation de près de 300 tombes dans un cimetière juif du Bas-Rhin. "J'étais (...) à Sarre-Union dans ce cimetière dévasté par de jeunes lycéens, Français de souche, comme on dit (...), a-t-il déclaré.

"Une maladresse confondante", lâche auprès de l'AFP le sociologue Sylvain Crépon, spécialiste de l'extrême droite. Car l'expression est utilisée depuis plusieurs années par la sphère "d'extrême droite nationaliste".

Un site internet, fdesouche.com, lui est d'ailleurs dédié. Militants et sympathisants du Front national y revendiquent cette appellation pour évoquer "l’identité" et dénoncer "l'immigration massive".

Il n'en fallait pas plus pour déclencher la polémique, même si le lendemain, le chef de l'État a tenté de désamorcer les critiques. "Pour ceux qui m'ont écouté hier soir, il n'y avait pas de doutes à avoir, je me suis distingué justement de cette expression".

- 'Une expression piège' -

En vain. Sous couvert de l'anonymat, un historien fulmine, jugeant "pervers" les propos de M. Hollande. "+Français de souche, comme on dit+! Justement ce n'est pas +comme on dit+!".

Le président "aurait dû faire attention. C'est une expression piège que l'on ne peut plus utiliser", renchérit M. Crépon. Il observe que les responsables du FN "l'ont bannie de leur vocabulaire", même si "elle est communément admise dans leurs rangs, mais seulement en aparté".

La présidente du FN, Marine Le Pen, a pu ainsi selon le sociologue "se faire plaisir" en soulignant n'avoir "pas de passion" pour l'expression. "Moi, j'ai une vision très imprégnée des valeurs de la République française, des valeurs de l'assimilation", a-t-elle dit.

Côté majorité, l'heure est à la défense. Le Premier ministre, Manuel Valls, a déploré un "faux procès". Le chef de l’État "a prononcé les mots qui s'imposaient pour bien faire la distinction et pour ne pas qu'il y ait des amalgames", a-t-il justifié.

A la rescousse également, le numéro un du PS, Jean-Christophe Cambadélis: François Hollande "voulait indiquer que certains - c'est-à-dire le Front national - (...) disent qu'il y a des Français +de souche+ et des Français de +papier+", a-t-il défendu. "C'était un clin d'œil, qui n'a pas été compris, à la nature profonde du FN qui sépare les Français en deux".

- Du XIXe siècle, à Pétain et l'Algérie -

L'expression est apparue au XIXe siècle, dans la France coloniale, quand il s'est agi de définir la nationalité.

Le démographe Hervé Le Bras souligne auprès de l'AFP que le terme réapparaît "sous le régime pétainiste, ce qui allait bien avec le retour à la terre et les racines". "Il se peut, poursuit-il, que le terme ait été inspiré de l'allemand et notamment de Stammfamilie, qui désigne un mode d'héritage inégalitaire (un seul héritier) et est d'ailleurs traduit en français par famille-souche". Ensuite, le terme a sombré dans l'oubli.

De 1958 jusqu'en 1962, ce fut une catégorie administrative, distinguant dans l'Algérie française "les Français de souche nord-africaine" des "Français de souche européenne". Durant la guerre, l'expression fut employée par le général de Gaulle pour distinguer les Européens d'Algérie des "musulmans".

La formule revint sur le devant de la scène au milieu des années 90 dans une enquête de l'Institut national d'études démographiques (Ined) sur l'immigration, déclenchant une vive polémique entre démographes. L'un des auteurs de l'étude, Michèle Tribalat, y définissait un "Français de souche" comme une personne née en France de deux parents eux-mêmes nés en France. Depuis, elle a opté pour l'expression "natif au carré".

Dans l'annexe de l'ouvrage, l'un des auteurs "se pose naïvement la question: puisque l'enquête recense des origines ethniques turques, portugaises, kabyles, mandés, kurdes, mandés, kwas, etc., comment nommer ceux qui n'ont pas d'origine ethnique? Et il propose d'utiliser le mot souche", explique Hervé Le Bras.

"Le mot plaît à droite et à l'extrême droite et sera vite repris dans des contextes xénophobes", poursuit le démographe, auteur du livre "Le démon des origines", (éd. de l'Aube, 1998).

Pour lui, "l'utilisation du terme par Hollande est donc particulièrement maladroite car elle s'inscrit à la fois dans un contexte désormais très à droite, et dans le cadre des statistiques ethniques que le même Hollande a récusé dans sa récente conférence de presse".

Le débat continue. En février 2011, Patrick Weil, historien de l'immigration, jugeait que l'expression n'avait "aucun fondement".

"La France a été une terre d'invasion puis de migrations, et les nouveaux venus ont toujours fini par s'intégrer. Ses citoyens ont fait son Histoire et construit des valeurs", ajoutait-il.

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