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"J'ai été refoulé trois fois": à la frontière franco-italienne, des migrants prêts à "tout"

Bottes dans la neige du col de Montgenèvre, dans les Alpes françaises, la bénévole de Médecins du Monde observe aux jumelles le poste-frontière avant l'Italie: "la police refoule les migrants. Du coup, ils prennent des risques fous pour passer. C'est pour ça qu'on est là".

Sur le manteau blanc des Alpes, le point d'entrée de l'immigration clandestine s'est tari, depuis un an, au fil du renforcement des contrôles frontaliers.

Aujourd'hui, le passage s'effectue au compte-goutte, par des routes sans cesse plus improbables et dangereuses, comme le prouvent les quatre morts depuis mai 2018 dont une Nigériane qui cherchait à échapper à un contrôle de police.

"La pression policière fait qu'ils passent de plus en plus loin des routes et pistes balisées. Ils tentent le tout pour le tout sous un mètre de neige, alors que c'est souvent la première fois qu'ils en voient", déplore auprès de l'AFP Aimele Meftah de Médecins du Monde (MdM) qui opère depuis début novembre des maraudes de nuit avec l'association Tous migrants.

En un mois, l'ONG a recueilli 52 migrants, principalement originaires d'Afrique de l'ouest, qui tentent la traversée sans équipement et que MdM retrouve "hébétés", le corps "à 32 ou 33 degrés", avec "des gelures extrêmes" aux pieds.

Pour Aimele Meftah, la présence de médecins à l'approche de l'hiver est "indispensable": "Une personne perdue dans la montagne risque sa vie", résume-t-elle, en poussant la porte d'un local à skis, "cachette" potentielle des migrants qui parviennent à rallier le village.

- "On est venu nous chercher" -

Et ce n'est pas la fin du périple. A moins de 10 km de la frontière, "c'est une zone de non-droit" où la police aux frontières "vient récupérer les migrants jusque dans nos voitures", regrette MdM.

En un an, Tous migrants assure avoir envoyé au procureur une quinzaine de signalements d'abus policiers.

Des "refoulements systématiques" et entraves au droit d'asile que dénoncent mercredi plusieurs organisations comme Amnesty International, Médecins du Monde ou Médecins sans frontières. Elles organisent des manifestations dans plusieurs "villes-frontières" de France comme Briançon, près de Montgenèvre, Hendaye (sud-ouest) ou Dunkerque (nord) pour réclamer l'ouverture d'une commission d'enquête parlementaire.

Abdullahi, un Ghanéen de 18 ans, s'est décidé fin novembre à quitter Naples pour tenter sa chance en France, après avoir travaillé dans la cueillette pour rassembler des économies.

Il a déjà vécu "l'enfer" en Libye, dont il a connu les geôles après avoir été "dépouillé de tout" et s'être entendu dire, un an durant, qu'il allait "mourir aujourd'hui". Il a ensuite traversé la Méditerranée sur un rafiot pneumatique avec 127 personnes.

A la frontière française, "j'ai été refoulé trois fois", raconte-t-il à l'AFP, bonnet vissé sous la capuche. "J'ai essayé à différents endroits, mais la police était toujours là. Finalement, j'ai réussi à passer par la montagne, on était sept, cachés dans la neige, très loin de la police. Quelqu'un a appelé un numéro et on est venu nous chercher".

- "Éviter les drames" -

Le dispositif policier qui imperméabilise la frontière s'accompagne aussi du "retour des passeurs", déplore-t-on chez Tous migrants. Avec la promesse d'une nouvelle vie en France contre 100 à 350 euros environ, ils fournissent parfois le numéro de militants indépendants côté français.

"Ces appels présentent un risque, on ne veut pas recevoir d'appel, on doit fonctionner sans ça et faire notre travail de recherche en montagne", dit Michel Rousseau, cadre de Tous migrants, qui convient que certains exilés sont "dans les mains des trafiquants", mais insiste sur le "devoir d'éviter les drames".

Samedi dernier, en pleine maraude de nuit, il a dû s'extirper de la poudreuse à 1.900 m d'altitude, pour répondre au téléphone: quatre jeunes Africains venaient d'être secourus par une autre équipe de maraudeurs.

Abdoulaye (le prénom a été modifié), un Nigérien, ainsi que ses trois compagnons ont été descendus au "Refuge solidaire" à Briançon, un local associatif mis à disposition par la communauté de communes, où les migrants ont accès à un repas chaud, une douche et un lit.

Le jeune homme, qui raconte avoir passé deux ans et demi en Italie, se félicite d'être arrivé en France dès sa première tentative.

"Ici, on offre une pause, un sas d'entrée pour reprendre des forces, physiques et mentales. Parce qu'après, c'est la galère", souligne Pauline Rey, unique salariée du "Refuge".

En claquettes-chaussettes après une douche, Abdoulaye a "déjà tout oublié", lorsqu'il se sert du thé et des céréales: "c'est comme si je n'avais pas marché six heures".

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