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"On a tous cru qu'il était fou d'amour mais c'était de la possession": Marie-Alice a été tuée pour avoir tenté de quitter son compagnon

Des milliers de personnes sont descendues dans la rue samedi à Paris et en régions pour dire "stop" aux violences sexistes et sexuelles et aux féminicides. Une "marée violette" qui entend peser sur le gouvernement, à deux jours de la fin du "Grenelle" contre les violences conjugales.

A l'approche de la journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes qui se tiendra le 25 novembre, une marche est organisée ce samedi. Le but: dénoncer les violences faites aux femmes et les nombreux féminicides recensés chaque année. Le même type de manifestation est prévu ce dimanche dans les rues bruxelloises. 

Au moins 87.000 femmes ont été tuées de manière intentionnelle en 2017, dans les pays pauvres comme dans les riches, selon des chiffres de l'ONU. Les mêmes histoires se répètent de semaine en semaine. Voici celle de Marie-Alice, 53 ans, sauvagement tuée pour avoir tenter de quitter son compagnon.

C'était une relation toxique, délétère.

A 53 ans, Marie-Alice, une consultante qui vivait entre la France et les Etats-Unis, voulait quitter Luciano, un chauffeur de taxi, après 15 ans d'une relation devenue "délétère". En avril, son corps a été retrouvé dans une valise flottant dans l'Oise.

Le 22 avril, le corps de Marie-Alice est repéré par un batelier à hauteur de Neuville, en région parisienne. Seize jours plus tard, son compagnon, qui avait pris la fuite, est renversé par un camion à Orvieto, en Italie - un probable suicide. Placé en garde à vue, son fils reconnaît l'avoir aidé à dissimuler le corps, affirmant qu'il l'avait appelé en disant avoir "fait une connerie".

"C'était une relation toxique, délétère", résume aujourd'hui la sœur de Marie-Alice, Hélène de Ponsay, devenue vice-présidente de l'Union nationale des familles de féminicide (UNFF). "Mon souhait, c'est qu'on comprenne que les violences psychologiques sont hyper-alarmantes. Parce qu'elles sont insidieuses, qu'elles sont toujours à la racine des violences physiques et qu'elles peuvent conduire jusqu'à la mort".

Marie-Alice naît en région lyonnaise, de parents profs. "Pétillante", "curieuse", elle aime la photo, la littérature et les sciences, se souvient Nathalie Sergent, son amie d'enfance. Elle fait des études de pharmacie à Lyon jusqu'au doctorat, se marie et part aux Etats-Unis où, après plusieurs emplois salariés, elle monte à 34 ans sa société de conseil en biotechnologies et cosmétique.

Divorcée, Marie-Alice partage ensuite sa vie entre une maison au bord du lac Tahoe, dans le Nevada, et la France. Collègues et amis décrivent une femme "très brillante", un "puits de science, de culture", une "passionnée" ayant une "boulimie de création". "Très pipelette", "fidèle en amitié", elle passe "des heures" au téléphone et sur les réseaux sociaux.

Rencontre dans un taxi

Un soir, à Paris, elle prend un taxi et discute littérature avec le chauffeur, lui laisse sa carte. "Elle était dans un état d'effervescence", décrit sa sœur, "elle avait été surprise par cet homme qui était chauffeur de taxi et qui avait des lectures qui ressemblaient aux siennes".

Luciano a 13 ans de plus qu'elle. Né à Cagliari en Sardaigne, il est arrivé en France préadolescent, a arrêté l'école tôt et tout appris en "autodidacte". "Bourreau de travail", il conduit un taxi classe affaires, porte le costume, transporte parfois des célébrités.

"Elle s'est posé la question de construire quelque chose avec lui", "d'avoir un enfant", "jusqu'à ce qu'elle découvre, après plusieurs années de relations, qu'il était marié", raconte Nathalie Sergent. Ils se séparent alors sept mois, puis leur relation reprend.

Dans ce couple, il y avait un "décalage", s'accordent les proches de Marie-Alice. A un déjeuner en 2012, il "monopolise la conversation", tient des propos "racistes", ce qui provoque une dispute, se souvient Sandie Jaidane, collègue et amie.

"Ils avaient de grosses divergences politiques", se rappelle Hugo Willemin, un autre ami. "Elle me disait: 'il y a des choses dont je ne parle pas parce que, sinon, on s'engueule'". "Très souvent, ils se prenaient le bec devant nous", confirme Hélène de Ponsay, qui décrit un homme "très macho".

Mais il y a aussi une vie de couple, un "quotidien" entre Marie-Alice et "Lulu", comme elle l'appelait, bien qu'ils vivent à distance: ils s'appellent une heure matin et soir, il vient la chercher à l'aéroport, elle lui prépare "des petits plats".

J'ai été témoin de crises de panique de ma soeur.

Au cours de cette relation qui durera 15 ans, il y a peu de signes de violence physique. Une fois seulement, "elle m'a dit qu'il lui avait foutu des baffes", se rappelle Sandie Jaidane. "Il s'est excusé platement pendant des semaines". Pourtant d'autres choses étaient inquiétantes, estiment aujourd'hui les proches de Marie-Alice.

"J'ai été témoin de crises de panique de ma soeur, quand on était toutes les deux en tête à tête chez eux, parce qu'elle s'était rendu compte qu'elle avait oublié d'acheter du pain", se souvient Hélène de Ponsay.

Peu de temps avant sa mort, Marie-Alice avait aussi prévu de dormir chez elle à l'occasion de ses 50 ans. Mais "il s'est invité, elle a cessé de rayonner et il est reparti avec elle. Il avait une emprise sur elle qui était incompréhensible."

Sandie Jaidane se rappelle, elle, avoir dîné avec Luciano en 2015, alors que le couple s'était disputé. "J'ai vu quatre visages différents du même homme en l'espace d'une heure et demie", allant de la séduction à l'agressivité, dit-elle.

"On a tous cru qu'il était fou d'amour mais c'était de la possession, de la possessivité, il l'accaparait, c'était sa chose", estime-t-elle.

"Il était jaloux", abonde Laure de la Guéronnière, qui raconte une "rupture manquée" en novembre 2018, après une dispute. Dans un texto, Marie-Alice écrit alors à son amie: "Ça va pas être simple cette histoire, il est vraiment pas prêt à me laisser partir".

Le fils de Luciano, mis en examen

Pendant un temps, elle loue des chambres sur Airbnb pour ses séjours en France... mais elle n'y dort pas.

"C'est le paradoxe", reconnaissent ses amies, qui estiment que, chez cette femme "empathique" et "ultra-sensible", Luciano a longtemps "rempli un vide". Lui, aussi, fait preuve de "chantage affectif": quand elle partait, "il se laissait dépérir", "perdait 8 kilos", lui disait: "je ne peux pas vivre sans toi", "tu es tout pour moi".

"Elle culpabilisait tout le temps de l'abandonner, de ne pas l'aimer assez, de s'engueuler avec lui pour un rien... elle culpabilisait de tout", rapporte Sandie Jaidane, qui dénombre "au moins cinq" tentatives de rupture depuis 2012. "Elle passait son temps à essayer".

Pourtant, au printemps, elle est "épanouie" dans son travail, plus à l'aise financièrement et parle aussi de prémisses d'une nouvelle relation avec un autre homme.

Luciano "a dû sentir que cette fois-ci, c'était la bonne. Est-ce qu'elle lui a clairement dit (ce soir-là) ? Est-ce qu'elle a fait ses valises ? Est-ce qu'il a lu des SMS ? On ne le saura jamais", se désole Laure de la Guéronnière.

L'enquête se poursuit mais, selon les premières conclusions, Marie-Alice a été droguée puis étouffée dans le studio de Puteaux que le couple partageait. Plusieurs jours après les faits, le meurtrier présumé a continué à répondre aux amies de la victime par téléphone. "A ce stade de l'information judiciaire, on est toujours dans l'ignorance des circonstances exactes dans lesquelles elle est morte. En revanche, ce qui apparaît clairement, c'est que les actes criminels étaient prémédités", déclare Olivier Morice, avocat de la famille.

L'avocat du fils de Luciano, mis en examen pour "recel de cadavre", n'a pas souhaité s'exprimer.

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