Accueil Actu

Au procès du 13-Novembre, l'ambivalence Abdeslam

"Combattant de l'Etat islamique" ou accusé tourmenté souhaitant le pardon de "toutes les victimes" ? Au fil de près de dix mois de procès, Salah Abdeslam, le "10e homme" des commandos des attentats du 13-Novembre, s'est distingué par son ambivalence.

8 septembre 2021. A peine l'audience criminelle ouverte, le ton est vindicatif dans le box. Barbe et tee-shirt noirs, Salah Abdeslam proclame, péremptoire, avoir "délaissé toute profession pour devenir combattant de l'Etat islamique".

"J'avais noté +intérimaire+", relève sans se démonter le président de la cour d'assises spéciale de Paris, Jean-Louis Périès.

15 avril 2022. La voix est douce et tremblante, des larmes coulent sur le visage du seul membre encore en vie des commandos qui ont fait 130 morts à Paris et Saint-Denis.

Pour sa "dernière chance" de s'exprimer, le Français de 32 ans réaffirme avoir renoncé à déclencher sa ceinture explosive, "par humanité". Aux victimes, il demande de le "détester avec modération".

Cette métamorphose est-elle une stratégie de défense, comme on le soupçonne sur les bancs des parties civiles, ou une véritable évolution après des semaines de débats ?

"Ce procès lui a permis de fissurer l'image pré-fabriquée qu'on avait de lui et que les six années de silence ont consolidé", déclarent ses avocats, MMes Olivia Ronen et Martin Vettes.

Resté mutique pendant la quasi-totalité de l'enquête, Salah Abdeslam a retrouvé l'usage de la parole dès les premiers instants d'audience.

- "Marche arrière" -

Il se l'arroge pour vitupérer contre ses conditions de détention - "On est traités comme des chiens" - ou justifier les attentats. "On a attaqué la France, visé la population" mais il n'y avait "rien de personnel", "ces +terroristes+, ce sont mes frères". Le président coupe plusieurs fois son micro.

Provocateur, l'accusé se montre aussi insolent quand il propose au président de "respirer un petit coup" ou le taxe d'être légèrement "susceptible".

Mais au fil des mois, Salah Abdeslam continue de parler et s'adoucit même.

Ses réponses restent succinctes quand il évoque sa "vie simple" d'avant. "Imprégné par les valeurs occidentales", cet ancien petit délinquant de la commune bruxelloise de Molenbeek fréquentait casinos et boîtes de nuit. "Je dansais pas", s'empresse-t-il d'ajouter, sourire en coin.

Pour ses interrogatoires, la salle d'audience est toujours comble.

A l'isolement total depuis son arrestation en mars 2016, détenu dans une cellule vidéo-surveillée 24h/24, Salah Abdeslam semble profiter de ce statut d'accusé "numéro 1". Il tapote sur le micro pour vérifier qu'il fonctionne, soupèse chacun de ses mots.

Et déclare dès son premier interrogatoire, le 9 février, qu'il n'a "tué personne". Porteur d'une ceinture explosive le 13-Novembre, il dit avoir fait "marche arrière".

Ce "renoncement" deviendra le fil rouge de ses auditions, même le 30 mars lorsqu'il oppose pour la première - et unique - fois son droit au silence aux questions de la cour.

- "Vedette" -

L'un des avocats généraux, Nicolas Le Bris, s'emporte contre cet accusé qui "se prend pour une vedette, fait du teasing et garde le silence, se plaisant à voir les réactions qu'il suscite".

"On a la confirmation avec vous, M. Abdeslam, que la lâcheté est bien la marque de fabrique des terroristes", fulmine le magistrat.

Salah Abdeslam reste coi, décide finalement de répondre à une avocate de parties civiles pour confirmer qu'il a "renoncé" à se faire exploser.

Ce seront ses seules explications.

Quid des achats d'explosifs, des locations de voitures, des allers-retours pour récupérer les futurs membres des commandos à leur retour de Syrie ? Il répond par des "no comment" obstinés.

Semblant incapable de renier son engagement jihadiste, il peut le même jour dire qu'il "aime" le groupe Etat islamique, dont il légitime les actions, et répéter sans ciller qu'il n'est "pas un danger pour la société".

"Dixième homme" des commandos, Salah Abdeslam n'est jamais allé en Syrie. Il y a pensé fin 2014 mais s'est trouvé dans une "impasse", dit-il en février: d'un côté, ses "frères" qui se font "massacrer", de l'autre ses "attaches" en Belgique, ses parents et la femme qu'il devait épouser.

En avril, sa version évolue: l'"idée passagère" d'un départ en Syrie se transforme en volonté farouche. C'est pour cela qu'il pleure devant sa fiancée quelques jours avant les attentats, explique-t-il alors.

Son avocate Olivia Ronen est revenue dans sa plaidoirie vendredi sur ce "Salah Abdeslam aux deux visages", qui oscille "entre la posture du guerrier et le petit gars de Molenbeek".

En près de dix mois d'audience, la carapace s'est-elle fissurée ? Salah Abdeslam s'est-il montré sincère ou n'était-ce qu'un exercice de style destiné à lisser l'image d'un "monstre dépourvu d'humanité" ?

L'accusation a requis contre lui la réclusion criminelle à perpétuité incompressible, la plus lourde peine du code pénal qui rend infime la possibilité d'une libération.

Une "peine de mort sociale", "terrible" pour sa défense.

"Je veux être oublié à jamais", a souhaité Salah Abdeslam en avril. "Je n'ai pas choisi d'être celui que je suis aujourd'hui".

À lire aussi

Sélectionné pour vous