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Au procès du bombardement de Bouaké, l'ex chef du renseignement français sur la réserve

En novembre 2004, les services de renseignement français n'avaient ni les moyens ni les instructions pour contribuer à éclaircir les conditions du bombardement qui a tué neuf soldats français en Côte d'Ivoire, a affirmé mercredi leur patron de l'époque devant la cour d'assises de Paris.

"Je vous le répète, pour la 4e ou la 5e fois, nous n'avions pas les photos" et "ce n'était pas à nous de le faire". A la barre, Pierre Brochand, aux commandes de la Direction générale du renseignement extérieur (DGSE) de 2002 à 2008, s'agace de la question que magistrats et avocat lui reposent sans cesse.

Pourquoi la DGSE n'a-t-elle pas fait plus pour permettre l'arrestation des pilotes des avions qui ont attaqué le camp militaire de Bouaké ?

Cheveux blancs, costume gris anthracite, chemise bleue et cravate bordeaux, M. Brochand, 79 ans, a tenté de convaincre les juges que ses services n'en savaient pas plus que les autres, voire moins, dans cette affaire.

Depuis mardi, la cour d'assises se penche sur l'un des épisodes les plus déroutants lorsqu'au Togo, la France a inexplicablement refusé d'arrêter des mercenaires bélarusses arrivés de Côte d'Ivoire et soupçonnés d'avoir bombardé ses militaires le 6 novembre 2004.

Parmi eux figure Yury Sushkin, dont l'enquête française a montré qu'il pilotait un des deux chasseurs de l'armée ivoirienne. Il est avec deux officiers ivoiriens l'un des trois accusés du procès, tous jugé en absence car introuvables.

"Nous n'avions en notre possession à ce moment-là aucune preuve objective (permettant) de faire le rapprochement entre ces gens-là et ceux de Bouaké", assure Pierre Brochand.

A ses propos, la cour s'étonne. D'abord parce que les soupçons qui pèsent sur les Bélarusses arrêtés au Togo figurent dans au moins une note envoyée par la DGSE à l'époque, et jointe au dossier d'instruction.

Ensuite car plusieurs responsables en poste à l'époque à l'ambassade de France à Lomé ont confirmé à la barre qu'ils avaient eux aussi fait le lien entre ces mercenaires bélarusses et l'attaque de Bouaké.

- "Patate chaude" -

Ils ont ajouté qu'ils avaient immédiatement alerté leurs hiérarchies respectives (Affaires étrangères, Défense, Intérieur). Avant de recevoir la même instruction orale de "ne pas s'en occuper", comme le représentant de la DGSE sur place.

Ce dernier était "extrêmement dépité qu'on lui ait demandé de lâcher" les Bélarusses, a témoigné devant la cour un chef d'entreprise qui le fréquentait à l'époque à Lomé.

"Nous ne lui avons pas envoyé l'instruction de ne rien faire, juste de ne pas prendre d'initiative sans en nous en référer", louvoie M. Brochand.

Au début de son audition, l'ex-patron de la DGSE a souligné que la Côte d'Ivoire, où l'armée française était très présente, n'était plus à l'époque une priorité de ses services en termes de moyens ou d'effectifs, déjà largement mobilisés contre la menace islamiste au Sahel ou au Moyen-Orient.

Par ailleurs, a ajouté Pierre Brochand, "la DGSE n'avait pas à intervenir" dans cette affaire car "une procédure judiciaire avait déjà été ouverte" par des gendarmes français en Côte d'Ivoire après le bombardement.

Un air de déjà-vu parcourt la cour d'assises. Depuis une semaine, plusieurs responsables, militaires notamment, s'y sont succédé pour expliquer qu'ils avaient fait tout leur possible pour faire avancer l'enquête sur le bombardement.

Mais la question qui taraude magistrats et familles des victimes reste toujours sans réponse: qui a donné l'ordre de bombarder les Français, et pourquoi la France a-t-elle semblé traîner les pieds dans l'enquête ?

"On a l'impression que les différents services se renvoient la patate chaude", soupire le président de la cour, Thierry Fusina.

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