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De la place de la Contrescarpe à l'Elysée, la déflagration Benalla

Un visage flou sous un casque des forces de l'ordre, place de la Contrescarpe à Paris. A l'été 2018, la France découvre Alexandre Benalla, chargé de mission à l’Élysée, ombre du président Emmanuel Macron, à l'origine du plus gros scandale du quinquennat.

"Regardez bien sa tête, il l'a tabassé par terre !" Les images sont tournées le jour de la manifestation du 1er mai 2018, marquée cette année-là par de violents affrontements.

Un homme se détache d'un groupe de CRS, en sweat à capuche gris et veste noire, visière baissée, s'en prend violemment à deux personnes, au milieu des cris, bris de verre et lacrymogènes.

La vidéo figure en tête d'un article du Monde, publié le 18 juillet 2018 à 20H09, qui révèle que cet homme passant pour un policier en civil est en fait un proche collaborateur du président de la République, âgé de 26 ans.

Les agissements de celui qui n'aurait dû n'être qu'un "observateur" n'ont été sanctionnés que par quinze jours de suspension et il a toujours un bureau à l’Élysée, révèle le journal.

En quelques heures, ce soir-là, le sujet devient explosif.

Dès le lendemain, l'opposition dénonce l'"impunité au sommet", loin de la "République exemplaire" prônée par Emmanuel Macron, élu un an plus tôt à 39 ans. Droite et gauche demandent que la justice soit saisie, des sanctions prises, exigent des explications.

Peu avant 10H00, dans un exercice resté inédit, le porte-parole de l'Elysée fait une déclaration à la presse.

Alexandre Benalla a reçu "la sanction la plus grave jamais prononcée contre un chargé de mission travaillant à l’Élysée", assure Bruno Roger-Petit, l'air emprunté derrière son pupitre, parlant d'un "comportement inacceptable".

Il révèle aussi l'identité du deuxième homme de la vidéo du 1er mai: Vincent Crase, employé d'En Marche, réserviste de la gendarmerie et vieil ami d'Alexandre Benalla.

Quelques minutes plus tard, le parquet de Paris annonce l'ouverture d'une enquête.

- Bus des Bleus -

Au Parlement en ébullition, les débats s'arrêtent. Les membres du gouvernement sont assaillis de questions sur "l'affaire d’État". Le soir-même, la commission des lois de l'Assemblée se dote des prérogatives d'une commission d'enquête. Le Sénat embrayera le lendemain.

Inconnu, invisible dans l'organigramme de l’Élysée et pourtant si proche du pouvoir, Alexandre Benalla est désormais dans la lumière.

Sur les photos, on cherche sa courte barbe et ses cheveux bruns près du chef de l'Etat, lors de bains de foule, vacances au ski, balade à vélo: c'est "Où est Charlie", résume un photojournaliste. Surprise, il apparaît dans le bus des Bleus sur les Champs-Élysées de retour avec la Coupe du monde de football, trois jours plus tôt.

Garde du corps ? Proche conseiller ? Simple organisateur ? Son rôle, nébuleux, est scruté. Voiture de service, appartement sur le cossu quai Branly, badge d'accès à l'Assemblée feront bientôt surface.

Le 20 juillet au matin, l’Élysée annonce son licenciement. Alexandre Benalla est déjà en garde à vue.

En parallèle, une autre enquête est ouverte, visant cette fois trois policiers. Dans la nuit qui a suivi l'article du Monde, ils ont transmis des images de vidéosurveillance au chargé de mission, dans le but de l'aider à se défendre. Une "connerie", regrettent-ils le lendemain.

La remise du CD-Rom a eu lieu autour de minuit, dans un bar à chicha à 500 m de l’Élysée, Le Damas Café, où le collaborateur de la présidence a ses habitudes.

- "Attraper le président par le colbac" -

Le 21 juillet, Alexandre Benalla devait se marier à la mairie d'Issy-les-Moulineaux: à la place, son domicile est perquisitionné. La veille, les policiers n'ont pas pu rentrer chez lui et, entre-temps, une armoire forte censée contenir des armes a disparu. L'épisode, rocambolesque, entraînera l'ouverture d'une nouvelle enquête.

Pendant ce temps, Emmanuel Macron reste obstinément silencieux.

Jusqu'à ce qu'au bout d'une semaine, ses déclarations lors d'un pot de fin de session parlementaire "fuitent". "S'ils veulent un responsable, il est devant vous. Qu'ils viennent le chercher !", lance le chef de l’État, bravache, jurant que "personne n'a jamais été protégé" et épinglant médias, justice, Parlement. Cette affaire est une "tempête dans un verre d'eau", dira-t-il plus tard.

Lunettes rondes, cette fois rasé, l'homme au centre du scandale, mis en examen, s'exprime à la télévision quelques jours plus tard.

"On a essayé de m'atteindre, de me +tuer+, affirme-t-il. "C'est une façon d'attraper le président de la République par le colbac."

Il assume une "faute politique, d'image" mais pas un "délit": "c'est un citoyen qui appréhende un délinquant, point à la ligne".

- "Petit marquis" -

Pendant des mois, le feuilleton n'en finira plus de rebondir.

La presse dévoile les témoignages de trois personnes malmenées au Jardin des Plantes, deux heures avant l'épisode de la Contrescarpe. Des auditions parlementaires de responsables se succèdent, jusqu'au plus haut sommet de l’État, battant des records d'audience. Deux motions de censure sont rejetées.

A la rentrée, la commission du Sénat veut entendre Alexandre Benalla, qui s'énerve et qualifie son président, Philippe Bas, de "petit marquis". Il s'en excusera lors de son audition.

Autour des ronds-points et dans les cortèges des "gilets jaunes" qui se multiplient bientôt, le masque à l'effigie de Benalla est populaire. Et le slogan: "Macron, on vient te chercher chez toi".

Les "affaires Benalla" se multiplient au fil des révélations de la presse. Notamment sur l'utilisation de ses passeports diplomatiques, après son limogeage de l’Élysée. Puis sur un contrat conclu par le duo du 1er mai pour le compte d'un sulfureux milliardaire russe.

En janvier 2019, Mediapart publie une conversation enregistrée datant du 26 juillet 2018 entre Alexandre Benalla et Vincent Crase - une rencontre interdite par leur contrôle judiciaire. Ils passent une semaine en prison.

Sur les bandes, Alexandre Benalla, en riant, se targue du soutien du "patron".

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