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Du "drame passionnel" au féminicide : de nombreux médias ont revu leur copie

Quand un homme tue sa compagne, c’est un "féminicide" et non un "crime passionnel" : la plupart des médias français ont radicalement changé de point de vue sur les violences conjugales, dans la foulée du mouvement #MeToo.

Les exemples de formules toutes faites, parlant du meurtre sous l'angle de l'histoire d'amour ayant "mal tourné", invisibilisant les victimes, ne manquent pas. "Un couple retrouvé mort, un drame familial", titrait une radio en 2017 pour un homme qui a tué sa femme à coups de couteau avant de se pendre. "Deux morts suite à une séparation douloureuse", titrait un journal belge début 2019 pour un homme qui a tué sa femme avant de retourner l'arme contre lui.

Mais la presse bouge, poussée notamment par le procès de Jacqueline Sauvage (suivi d'un téléfilm à succès avec Muriel Robin) puis par le mouvement #MeToo, par lequel "les questions liées au genre se sont imposées comme des questions de société", souligne Marlène Coulomb-Gully, professeure en sciences de l’information à l’Université Toulouse 2.

Libération compte les féminicides depuis 2017. Après la mort de Julie Douib, tuée par son ex-conjoint début 2019 alors qu'elle avait demandé l'aide de la gendarmerie, plusieurs médias ont multiplié les reportages, comme Radio France à l’ouverture du "Grenelle des violences conjugales" en septembre. Au cinéma et à la TV, le téléfilm de TF1 sur Jacqueline Sauvage et le film "Jusqu'à la garde" ont mis un nouveau coup de projecteur sur le sujet des violences conjugales.

En l'espace de cinq ans, soit depuis la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, les citations liées aux violences faites aux femmes ont augmenté de plus de 190% (190.000 occurrences), selon l'institut Presse'edd.

Victimes, proches de victimes, militantes, elles et ils étaient nombreux à demander aux médias de parler plus des féminicides, comme le père de Julie Douib.

"faits de société, pas faits divers"

"Il est important que vous soyez présents (...) seuls vous pouvez faire remonter les faits", lançait-il à des journalistes début novembre, lors d'une conférence de presse organisée par M6 pour présenter une série d'émissions sur le sujet. "Ça fait bouger la justice", a souligné à ses côtés Stéphanie, qui témoigne des violences de son mari dans un "Zone interdite" prévu le dimanche 24 novembre.

Certains demandent à ce que les journaux fassent remonter en une chaque féminicide, suivant l'exemple espagnol.

Plusieurs médias de l'autre côté des Pyrénées se sont en effet engagés à éviter un traitements morbide de ces "violences machistes", à ne pas chercher d'excuses aux agresseurs et à rappeler systématiquement le numéro d'aide aux victimes. Résultat : avec un investissement massif de l'Etat dans le dispositif policier et judiciaire, le nombre de meurtres a fortement baissé ces dernières années.

En France, le Monde comme l'AFP ont mis au travail des groupes de journalistes sur ces crimes. "Il ne faut pas les traiter comme des faits divers, mais comme des faits de société", souligne à l'AFP Jérôme Fenoglio, directeur de la rédaction du Monde. Le journal a choisi d'enquêter sur les meurtres de 2018 pour "pointer les points communs, déceler tout ce qui a pu coincer dans la prévention, la prise en compte de la parole des victimes". Et aussi "montrer comment les mentalités se sont accommodées de ces assassinats jusqu'ici".

De nombreux médias français, de BFMTV au Figaro, ont également adopté ces derniers mois le terme "féminicide" qui était jusqu'ici l'apanage de militantes féministes.

"Le terme féminicide aide à quitter le registre complaisant du coup de sang, du crime passionnel, pour rejoindre celui de l’histoire longue du rapport déséquilibré entre hommes et femmes", résumait lundi le directeur de la rédaction de La Voix du Nord, Jean-Michel Bretonnier, dans un édito.

"C'est important pour le journalisme de sortir des anciens mots, les mots de la banalisation", souligne Jérôme Fenoglio. L'idée, au fond, est de "montrer comment on peut agir sur ces causes".

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