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Du mensonge à la chute, Jérôme Cahuzac ou les promesses trahies

Enferré dans le mensonge jusqu'à la chute: l'ex-ministre du Budget Jérôme Cahuzac, condamné mardi à deux ans de prison ferme pour fraude fiscale, est passé du statut de pilier du gouvernement de François Hollande à celui de paria aux promesses trahies.

"J'avais une part d'ombre qui est aujourd'hui en pleine lumière", avait dit l'ancien élu après ses aveux. A son procès en appel, le "retraité" a décrit "une succession de désastres" après l'éclatement du scandale qui fera trembler le gouvernement.

Qui est Jérôme Cahuzac? Un "super chirurgien, super député, super ministre" décrit par un ancien collaborateur à Bercy? Ou alors "Birdie", qui ouvre en 1992 sous ce pseudonyme un compte en Suisse --dont il niera l'existence envers et contre tout--, ne sachant "pas quoi faire" de son argent?

Est-il l'homme de gauche qui veut "demander aux exilés fiscaux" de "contribuer au redressement du pays", ou bien celui qui au même moment, en 2011, se fait remettre "dans la rue" des enveloppes avec 10.000 euros tirés de ces fonds désormais cachés à Singapour ?

Il vit désormais seul en Corse, effectuant parfois une opération de chirurgie capillaire - "quand on veut bien de moi" - au profit d'une association qu'il refuse de nommer, pour ne pas lui faire une "mauvaise publicité".

Il y a chez lui "une sorte de dédoublement", a analysé le député Les Républicains Gilles Carrez, son successeur à la tête de la commission des Finances de l'Assemblée après son entrée au gouvernement en 2012.

Le destin de Jérôme Cahuzac, aujourd'hui 65 ans, bascule le 4 décembre 2012. Ministre pour la première fois, ce passionné de fiscalité a la lourde tâche d'incarner une rigueur de gauche quand le site Mediapart révèle l'existence du compte caché.

Pendant quatre mois, Cahuzac le boxeur encaisse et dément catégoriquement, "les yeux dans les yeux" des députés, de ses amis politiques et des journalistes. "Au Parlement, j'étais respecté. En 45 secondes, tout vole en éclats, c'est vertigineux", a dit l'ancien ministre à la barre. "Je mets toute la force que j'ai à essayer d'éteindre l'incendie, alors que c'est déjà un feu de forêt".

Il s'enferre, jusqu'au bord du suicide. L'étau judiciaire se resserre: il démissionne en mars puis avoue le 2 avril, "dévasté par le remords".

- "Le paradoxe Cahuzac" -

En 2016, nouveau coup de théâtre quand il affirme que le premier compte ouvert en Suisse visait à financer le courant politique de l'ex-Premier ministre Michel Rocard. Comment croire le ministre menteur?

Le tribunal l'a condamné à trois ans de prison ferme, une peine ramenée en appel à quatre ans dont deux ans avec sursis.

Le parcours de ce fils de résistants, né à Talence (Gironde) le 19 juin 1952, est tiraillé entre plusieurs ambitions.

Au Parti socialiste depuis 1977, il travaille avec le ministre de la Santé, Claude Evin, de 1988 à 1991, où ce dernier remarque un conseiller "qui fonce" pour "faire aboutir" la loi contre le tabagisme et l'alcoolisme.

Après un remaniement, Cahuzac le chirurgien s'était lancé avec succès dans les implants capillaires tandis que Cahuzac l'ex-conseiller ministériel devenait consultant pour des laboratoires pharmaceutiques. C'est alors qu'il ouvrait un premier compte suisse.

Jérôme Cahuzac enchaînera les succès électoraux, tandis que son couple entre dans la tourmente, jusqu'à la rupture. Il est député du Lot-et-Garonne en 1997 puis maire en 2001 de Villeneuve-sur-Lot.

Sa maîtrise des dossiers budgétaires l'impose comme ministre en 2012, malgré la méfiance que cet homme qui a fait fortune suscite chez certains "camarades". "L'argent ne m'intéresse pas", a-t-il répété à l'audience, arguant que voyant venir la crise financière de 2008, il n'avait "rien fait pour mettre (ses) avoirs à l'abri".

Pour le psychiatre Daniel Zagury, qui l'a expertisé en mai 2017, "il avait le sentiment d'avoir trahi cette promesse de l'aube", cet "héritage de valeurs familiales humanistes".

Mais jusqu'au bout, il a semblé regarder avec distance ce jeune chirurgien flambeur et fraudeur, comme "un autre" que lui-même, comme si le ministre "engagé pour le bien public" n'était plus redevable d'une erreur de jeunesse: c'est ce que le psychiatre a appelé "le paradoxe Cahuzac".

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