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Edwy Plenel: "Nous nous battons à armes inégales"

Le cofondateur et patron de Mediapart estime que, malgré le succès de son journal en ligne qui célèbre ses 10 ans d'existence, il continue de se battre "à armes inégales" avec les grands médias.

Q: Où en est Mediapart 10 ans après son lancement?

R: "C'est un succès improbable, unique et qu'il faut savoir maîtriser. En 10 ans, on a eu sept exercices bénéficiaires successifs. Mais nous nous battons à armes inégales. Sans subventions publiques, sans publicité, sans mécènes privés. Et nous avons en face une concurrence qui utilise toutes les armes déloyales pour que la concurrence soit faussée.

Il nous parait inadmissible que des journaux quotidiens ou hebdomadaires, qui sont aussi sur le numérique, qui sont la propriété de milliardaires, bénéficient d'une aide publique directe comme c'est la cas aujourd'hui pour Bernard Arnault et LVMH, Patrick Drahi et SFR, Xavier Niel, Dassault. Avec Google, Facebook ou la fondation Gates, ces mêmes journaux bénéficient d'une aide privée qui a créé une situation de dépendance."

Q: Comment garantir l'indépendance du journal à l'avenir?

R: "On essaie d'inventer dans le cadre du droit français quelque chose qui pourrait ressembler à ce qui existe au Guardian, qui appartient à un +trustee+, un fonds qui garantit l'indépendance du journal. On met l'indépendance de Mediapart dans un coffre-fort, garanti par une structure à but non lucratif qui défend l’intérêt général et aide au développement du pluralisme de la presse digitale indépendante, par des prêts ou prises de participation.

Notre scénario juridique est prêt, il suffit que l'administration fiscale donne son accord pour cette nouveauté, imaginée d'abord pour la culture. Nous discuterons ensuite avec les équipes de Mediapart de la gouvernance de ce fonds.

Il s'agit de permettre la passation d'une génération à l'autre, qu'on a commencée au niveau de la rédaction en chef. Derrière ça, il y a à terme la succession de la directrice générale, Marie-Hélène Smiejan, et du PDG, moi-même. Nous aimerions démarrer tout cela en 2018."

Q: Comment jugez-vous l'évolution du secteur des médias depuis le lancement de Mediapart?

R: "Il n'y a aucune volonté politique pour pousser une refondation de l'écosystème, qui dynamiserait économiquement le secteur. Nous sommes, Mediapart et d'autres, de vaillants petits poissons qui nagent face à de gros requins dans une mer polluée. C'est bien de nous encourager, mais ce serait mieux de dépolluer la mer.

Cette refondation, cet assainissement -- la fin des aides publiques directes, la transparence du capital, l'indépendance des rédactions, la protection de l’intégrité du numérique -, tout est sur la table. Il y a pire maintenant: le pouvoir exécutif veut se mêler de notre liberté avec ce projet de loi sur les fausses nouvelles. Je voudrais être sûr que cette loi ne permette pas de nous bâillonner."

Q: Vous vous êtes retrouvés au coeur d'une polémique avec Charlie Hebdo en novembre. Comment l'avez-vous vécu?

R: "C'était la campagne la plus violente contre Mediapart, elle a été folle. Tariq Ramadan (au sujet duquel Mediapart a été accusé d'avoir dissimulé des informations, ndlr), je ne l'ai rencontré que deux fois, comme j'ai rencontré deux fois DSK. Je pouvais le considérer intellectuellement et avoir des désaccords politiques avec lui. Et ne rien savoir de sa vie privée. C'est de la pure calomnie.

Même si la succession aura lieu, plus il y a d'attaques ad hominem comme ça, plus ça donne envie de rester. Il n'y a aucune raison de leur faire ce cadeau-là. Nous ne sommes pas du côté de la politique de la peur, de l'assimilation des musulmans au terrorisme."

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