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Égalité salariale: l'Allemagne brise le tabou de la fiche de paie

L’Allemagne ambitionne de réduire son écart record de salaire entre hommes et femmes avec une loi permettant de briser l'un des grands tabous de la vie en entreprise: combien gagne son collègue ?

Depuis le 6 janvier, une nouvelle loi autorise un employé qui se sentirait discriminé à demander par écrit le salaire moyen de six personnes du sexe opposé occupant le même poste.

Cette disposition ne s'applique qu'aux entreprises de plus de 200 salariés. Celles de plus de 500 salariés sont pour leur part obligées de faire un point régulier sur leur politique anti-discriminations salariales.

"Les salaires restent un sujet tabou en Allemagne", a reconnu la ministre allemande de la Famille, la sociale-démocrate Katarina Barley, dont le parti est à l'origine de la loi.

Le texte, voté à l'été, n'est entré en application qu'en janvier pour laisser le temps aux entreprises de s’organiser. Pivots du dispositif, les conseils d'entreprise seront chargés de transmettre ces requêtes, qui peuvent être anonymes, à la direction.

"C'est un début, une fusée éclairante, pour comprendre ce qu'il se passe dans nos entreprises", explique à l'AFP Uta Zech, présidente de la branche allemande du réseau de femmes Business and Professional Women (BPW), qui appelle les salariées à y recourir massivement.

- Birkenstock attaqué -

Les Allemandes ont gagné en 2016 en moyenne horaire 16,26 euros brut, soit environ 21% de moins que les hommes (20,71 euros), selon l'office fédéral des statistiques Destatis, écart qui place l'Allemagne en 26e position du classement de l'Union européenne.

Un autre chiffre utilisé intègre le poids des écarts structurels: les différences de secteur où travaillent hommes et femmes, leur sous-représentation dans les postes à responsabilités, et leur surreprésentation dans l'emploi à temps partiel. Le résultat: 6% d'écart "réel" à poste comparable, selon la dernière étude de Destatis en 2014.

"Nous sommes un pays riche, nous allons bien, pourquoi ne pouvons-nous pas obtenir ce salaire égal?", s'interroge Mme Zech du BPW en référence à la santé éclatante de la première économie européenne.

Plusieurs cas de discrimination ont récemment été mis en lumière dans un pays encore pétri de l'expression, notamment employée par les nazis, pour qualifier la place de la femme dans la société: "kinder, küche, kirche", soit "enfants, cuisine, et église".

Birkenstock, le célèbre fabriquant de sandales, a été attaqué par 103 de ses ouvrières après qu'un tribunal eut donné raison en 2014 à une employée qui dénonçait une politique systématique de discrimination salariale dans les ateliers.

Autre cas qui a secoué l'Allemagne, la journaliste d'investigation allemande, Birte Meier, a rendu publique en 2016 sa plainte contre son employeur, la télévision publique ZDF, pour discrimination: son salaire brut était inférieur au salaire net de son binôme masculin à l’écran.

- 'Tigre de papier' -

Toutefois, en pleine campagne "#Metoo", cette loi semble, pour beaucoup d'observateurs allemands, avoir une portée surtout symbolique.

"Cette information (exigible) n'a aucune valeur", tranche ainsi le professeur de droit du travail Gregor Thüsing. Il argue qu'un salarié ne sera pas plus avancé de connaitre le salaire médian de 6 personnes, sachant que derrière ce chiffre peut se cacher une anomalie haute ou basse concernant l'un ou l'autre de ses collègues.

"Ce n'est qu'un tigre de papier, cette loi ne va rien changer (...) Un employeur pourra facilement dire : +Mais M. Meier a plus de responsabilités et M. Schmidt plus de contacts", tempête l’éditorialiste du Spiegel, Verena Töpper.

Enfin, quid des entreprises de moins de 200 salariés, là où - sauf accord de branche - les négociations salariales se jouent souvent en face à face avec le patron ?

Autre pays à avoir commencé à légiférer, le Royaume-Uni, qui oblige depuis 2017 les entreprises à publier des données sur les écarts de salaires entre hommes et femmes dans les entreprises de plus de 250 personnes.

Mais c'est en Islande que l'arsenal législatif le plus poussé au monde a été mis en place début 2018: les entreprises de plus de 25 salariés doivent prouver qu'ils payent hommes et femmes de manière égale pour un poste identique.

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