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Guyane : soldats et gendarmes contre garimpeiros, au coeur de la forêt

Quand le soldat français sorti à pas de loup de la jungle lui a posé la main sur l'épaule, le garimpeiro, accroché au jet haute pression qui ravage la terre rouge de Guyane, a compris qu'il avait tout perdu.

Ils sont trois, mains abîmées, mâchoires serrées, regards de bêtes traquées, vêtus de hardes déchirées sur des bottes en caoutchouc, a être tombés dans les filets des hommes de l'opération Harpie dans cette région aurifère du centre de la Guyane.

"Vous êtes placés en garde à vue pour délit d'orpaillage illégal... Vous comprenez ? Vous parlez français ?" leur demande le lieutenant de gendarmerie Jérémy Coquil qui, officier de police judiciaire, accompagne dans leur patrouille les Marsouins du 9ème régiment d'infanterie de Marine (RIMa), au cœur de la forêt guyanaise.

Pas de réponse. Une larme coule sur une joue maculée de boue. Ce sont des Bushinengues, descendants des anciens esclaves africains évadés du Suriname voisin, vivant sur les rives du fleuve Maroni. Le piroguier de la patrouille, employé de l'armée française, sert d’interprète.

- Ils comprennent. Ils disent qu'ils ont laissé leurs affaires dans la forêt...

- Ils sont en garde à vue. Nous allons les conduire au poste d'Apatou. Ils ont droit à un avocat et à un coup de téléphone", dit le gendarme.

Une pirogue redescend avec les prisonniers la rivière Beiman, affluent boueux du Maroni. Pour les hommes en treillis, l'épuisante fouille du site d'orpaillage clandestin continue, les jambes dans la boue parfois jusqu'à la taille.

- "Ils reviennent toujours"

"Les survols par nos avions et nos hélicos donnent des photos précises", explique à l'AFP le capitaine Charles (obéissant aux consignes, il ne donne que son prénom). "Ils se savent repérés. Ce qu'ils ne savent pas, c'est quand nous allons leur tomber dessus. Alors ils préparent des caches pour planquer le plus de choses possible, le plus vite possible, quand leurs guetteurs préviennent de l'arrivée d'une patrouille".

Dans le jeu au chat et à la souris que jouent dans la forêt guyanaise garimpeiros et hommes à la cocarde tricolore, le rôle des "sonnettes" est primordial. Invisibles, dissimulés dans la jungle, sur les berges du fleuve et des rivières, ils envoient des sms ou déclenchent leurs CB dès qu'ils aperçoivent la proue des pirogues aux motifs camouflés. Ils sont payés en grammes d'or ou en trajets de pirogues gratuits.

Surinamiens, n'appartenant pas aux bandes brésiliennes qui tiennent et ravagent la forêt, les trois pauvres bougres interpellés n'avaient pas été prévenus. Assourdis par le bruit de leurs moto-pompes, ils n'ont rien entendu venir. Ils ont perdu leur matériel, détruit sur place par les gendarmes, pour lequel ils se sont le plus souvent endettés.

Le moteur de la pompe est percé par un pot thermique, grenade à base de calorite qui se consume à très haute température et perce le métal, rendant l'engin irréparable.

Il faut ensuite passer des heures, dans des clairières aux décors de fin du monde, arbres arrachés, terre éventrée, à sonder les fosses remplies d'eau aux reflets d'huile, soulever les branchages suspects, creuser les tas de terre fraîchement remuée.

Dessous, des tuyaux, des bâches, des outils et surtout le nerf de la guerre de l'or, des fûts de gasoil. Les gros moteurs en avalent 200 litres par jour.

"L'orpaillage, c'est une industrie qui convertit le carburant en or" explique, dans son QG de Cayenne, le lieutenant-colonel Thomas, chef des opérations du 9ème RIMa. "Le problème, c'est que sur les sites faciles d'accès, proches du fleuve, ils reviennent avec deux moteurs et une tronçonneuse et le site redémarre en trois jours, dès que nous sommes partis".

L'orpaillage clandestin, dans la forêt la plus dense du monde, est d'abord une question de logistique. Tout passe par le fleuve et ses affluents, puis en quad sur des pistes taillées à la machette.

Mais sur l'autre rive du Maroni, c'est le Suriname, où la complicité de la police et de l'armée s'achète pour quelques grammes d'or. Les Marsouins du 9ème RIMa doivent savoir surprendre l'adversaire, choisir les emplacements de leurs postes de contrôle, les lieux de leurs embuscades nocturnes.

Quand les gisements clandestins sont assez proches d'un bras de rivière, l'équipement lourd reste sur des pirogues, qui filent à toute vitesse dès que le drapeau français est annoncé, des kilomètres en aval.

"Ils reviennent. Ils reviennent toujours", dit le capitaine Jean-Sébastien. "Pour motiver mes gars, je leur dis que nous sommes là pour tondre la pelouse. "Si vous ne tondez pas, vous avez de l'herbe jusqu'aux genoux. Nous ne les éradiquerons jamais, alors il faut contenir le phénomène autant que possible".

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