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Juger des crimes sans jurés: à Caen, le premier procès devant une cour criminelle

Un changement majeur dans la justice: un homme accusé de tentative de viol est jugé jeudi à Caen, non pas aux assises, mais par la toute première cour criminelle, une nouvelle juridiction permettant de juger des crimes sans jury populaire.

Cette audience a quelque chose d'historique: la présence de citoyens pour juger des crimes est un héritage de la Révolution française.

Pas de tirage au sort de jurés donc pour ouvrir ce procès. La présidente Jeanne Cheenne, entourée de ses quatre assesseurs, démarre : "Pour la première fois en France s'ouvrent des débats judiciaires devant une cour criminelle". Dans le public, il y a moins de cinq personnes mais une vingtaine de journalistes venus assister à cette première.

Les cours criminelles jugent les crimes punis de quinze ou vingt ans de réclusion, principalement les viols ou les vols à main armée. Cette juridiction sera expérimentée pendant trois ans dans sept départements. Les cours d'assises, avec leurs trois magistrats et six jurés, continueront d'y juger les crimes les plus graves, dont les assassinats.

Dans ses premiers mots à l'accusé, la présidente lui rappelle qu'il a le droit au silence, souligne qu'il comparaît libre "devant la cour d'assises". Puis se reprend en souriant: "C'est un lapsus et je m'en excuse!".

Les faits jugés remontent à novembre 2007. Une femme de 32 ans avait déposé plainte pour une tentative de viol. Un homme l'aurait suivie dans la rue, aurait pénétré dans son appartement avant de la ceinturer. Mais à force de se débattre, elle l'aurait fait fuir. En 2012, un rapprochement d'ADN avait permis d'interpeller un suspect. Douze ans après les faits, c'est un procès sans partie civile qui s'ouvre, la jeune femme étant décédée accidentellement.

L'accusé est un agent de sécurité de 36 ans à la carrure massive. L'audience prend des allures de dialogue entre l'accusé et la présidente. Cette dernière fait la liste des hématomes sur le corps de la victime, sur les cuisses, bras, fesses, poignets, autour de l'oeil. "Comment expliquez-vous cela?", interroge-t-elle. "Ce n'est pas moi", répond l'accusé, qui, confus, affirme avoir laissé la jeune femme chez elle après des préliminaires car "c'était trop violent à (son) goût".

L'avocat général a requis cinq ans d'emprisonnement, dont un an assorti d'un sursis avec mise à l'épreuve.

- Audience moins solennelle -

A chaque étape du procès, une question est dans les esprits: le procès ressemble-t-il à une audience d'assises ou de tribunal correctionnel (ces tribunaux jugent des délits punis jusqu'à dix ans d'emprisonnement)? Il semble se situer entre les deux.

Le vocabulaire (accusé, verdict, etc.) est celui de la cour d'assises. Mais il manque la solennité de celle-ci. La présidente prend le temps d'étudier la personnalité de l'accusé, de l'interroger, de le mettre face à ses contradictions, de revenir sur certains propos, mais aucun expert ni témoin n'a été appelé à la barre.

Aux assises, la procédure est orale: les jurés découvrent l'affaire dans toute sa complexité tout au long du procès. Là, les magistrats ont accès à tout le dossier, ce qui permet de raccourcir le temps d'audience. Les débats ont duré environ quatre heures, les réquisitions, trente minutes et la plaidoirie de la défense, un quart d'heure. L'accusé encourt quinze ans de réclusion.

D'abord renvoyé aux assises, il a accepté de comparaître devant la cour criminelle. "Il pensait que le professionnalisme des juges était une très bonne chose pour lui", a expliqué à des journalistes son avocate Sophie Lechevrel. "Ça va durer une journée et ça l'arrange", a-t-elle ajouté avant l'ouverture du procès.

Cette nouvelle juridiction pourrait-elle être défavorable aux accusés? "Il faut être vigilant mais les avocats sont là pour ça", assure Me Lechevrel, qui est pourtant restée extrêmement discrète tout au long du procès.

Depuis l'annonce de l'expérimentation en 2018, les cours criminelles divisent le monde de la justice: pour le ministère de la Justice et de nombreux magistrats, c'est un moyen d'avoir une justice plus rapide et plus efficace, alors que les cours d'assises sont engorgées. Pour les avocats pénalistes, elles représentent en revanche une justice au rabais et une régression démocratique.

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