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L'affaire des paillotes ou l'Etat incendiaire en Corse

Deux paillotes incendiées sur ordre du préfet par des gendarmes qui devaient maquiller cela en vengeance de bandits: "l'affaire des paillotes", il y a tout juste vingt ans en Corse, a "discrédité l'action de l'Etat".

Ce sont les conclusions des juges qui ont condamné en janvier 2002 à Ajaccio l'ex-préfet Bernard Bonnet à 3 ans d'emprisonnement dont 1 an ferme.

Son directeur de cabinet Gérard Pardini et le colonel Henri Mazères, commandant de la gendarmerie de Corse au moment des faits, seront eux condamnés à 30 mois de prison dont 6 ferme. Le capitaine Norbert Ambrosse, chef du commando, à 24 mois dont 6 ferme et les quatre autres gendarmes auteurs de l'incendie à 18 mois avec sursis. Des peines confirmées en appel en janvier 2003 et en cassation en octobre 2004.

Tout commence le 13 février 1998 avec la prise de fonction de Bernard Bonnet, sept jours après l'assassinat à Ajaccio de son prédécesseur le préfet Claude Erignac.

- "L'homme qu'il faut" -

Quelques semaines après son arrivée en Corse, "l'homme qu'il faut à l'endroit où il faut" comme le présentera Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'Intérieur, annonce qu'il va faire appliquer les décisions de justice ordonnant la destruction des bâtiments illégalement construits sur le domaine public maritime, dans le cadre de la politique de rétablissement de l'état de droit dans l'île.

Le 17 mai 1998, le village de vacances d'Alba Serena (Haute-Corse) est ainsi détruit. Le préfet multiplie les recours à l'article 40 qui permet à un fonctionnaire de saisir la justice lorsqu'il pense avoir connaissance d'une infraction.

Une suractivité qui ne fait pas l'unanimité surtout parmi les nationalistes qui lui demandent le 30 octobre 1998 à l'Assemblée de Corse: "Quand comptez-vous partir ?"

"Je partirai quand vos amis cesseront le racket, je partirai quand vos amis cesseront d'assassiner dans les fêtes de village, je partirai quand vos amis cesseront de déposer des explosifs", cingle le préfet.

En mars 1999, il fait détruire "La rose des sables", un restaurant de plage d'Ajaccio tandis qu'aux élections territoriales, les nationalistes doublent leur score.

Le 9 avril 1999, Bernard Bonnet compte poursuivre avec deux paillotes installées illégalement sur la plage d'argent dans le golfe d'Ajaccio. Mais face aux bulldozers du génie militaire, des soutiens aux paillotiers dont l'ancien ministre François Léotard et le président de l'Assemblée de Corse José Rossi, s'interposent. Une motion à l'Assemblée de Corse demande un sursis et les propriétaires s'engagent par écrit à détruire les établissements avant le 31 octobre.

- "Marre" -

Le préfet renonce mais enrage et opte pour des méthodes plus expéditives. "J'en ai marre, je veux qu'on rase ces horreurs, c'est facile, il suffit d'y foutre le feu, je vous en charge": ce sont les propos de Bernard Bonnet rapportés aux médias par le colonel Mazères.

Dans la nuit du 19 au 20 avril 1999, la paillote "Chez Francis", construite illégalement par Yves Ferraud, à Cala d'Orzu, l'une des plus belles plages sauvages de Corse, est détruite par le feu. A proximité de l'établissement qui régalait de langoustes et poissons grillés touristes et bourgeoisie ajaccienne, les gendarmes découvrent dans le sable un couteau de survie, plusieurs jerricans sentant l'essence, une cagoule à moitié brûlée et un radio-téléphone type ATR de leurs collègues du Groupement de peloton de sécurité, l'unité d'élite de la gendarmerie.

Entendus, les gendarmes ont des versions divergentes. Cinq seront mis en examen et placés en détention provisoire mais c'est un sixième, le lieutenant-colonel Bertrand Cavallier, ancien homme de confiance de Bernard Bonnet, opposé à cette mission clandestine, qui révèle, enregistrement sonore à l'appui, l'implication du préfet. Suivent une perquisition à la préfecture et les mises en examen de Bernard Bonnet et Gérard Pardini.

Dans sa bande dessinée "Sous le feu corse" retraçant ces événements, le juge d'instruction Patrice Camberou, aujourd'hui procureur de Draguignan (Var), confie le stress d'avoir été celui qui a fait emprisonner le 5 mai 1999 un préfet, pour la première fois dans l'histoire de la Ve République.

- "Chez Francis" rouverte -

Bertrand Cavallier révèle qu'une autre paillote, l'Aria Marina, a été incendiée le 7 mars 1999 par le colonel Mazères et Gérard Pardini, avec le briquet du préfet qui nie toujours son implication.

Après les procès, le préfet Bonnet a été admis à la retraite en octobre 2004. Gérard Pardini est aujourd'hui chef du service des affaires immobilières de la préfecture de police de Paris. Parmi les gendarmes, Norbert Ambrosse a été tué dans l'exercice de ses fonctions à Lyon en juin 2007 lors d'une tentative de cambriolage.

En Corse, le dossier des paillotes reste des plus brûlants. En janvier 2013, le préfet d'alors, Patrick Strzoda, a reçu une lettre de menace de mort l'enjoignant de ne pas faire démolir les établissements de plage illégaux.

En janvier dernier, la paillote Mar a Beach, installée sans permis dans une crique de Calvi (Haute-Corse), a été détruite par son propriétaire au terme de vingt ans de procédures judiciaires.

En mars, deux paillotes, dans le sud du golfe d'Ajaccio et dans le golfe de Sagone au nord d'Ajaccio, ont été en partie détruites dans des incendies criminels.

Quant à la paillote "Chez Francis", démontée chaque hiver, elle s'apprête à rouvrir fin avril, avec une autorisation d'occupation temporaire en bonne et due forme, a confirmé à l'AFP la préfète de Corse, Josiane Chevalier.

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