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L'enfer en prison: "J'ai entendu des braqueurs pleurer et vu des jeunes se pendre…"

Détenu depuis dix ans, El Hadj Omar Top, l'un des deux hommes qui s'étaient évadés de la prison centrale de Moulins en 2009, raconte dans un livre son quotidien fait de transferts répétés et de mises à l'isolement, entre révolte et rêves de rédemption. On y apprend le triste sort réservé aux détenus difficiles.

C'est pour échapper à sa "condition de bête fauve" que cet ancien malfaiteur de 34 ans, jugé en avril 2013 par la cour d'assises du Rhône pour s'être évadé avec explosifs et otages - avant d'être repris 36 heures plus tard -, s'est lancé dans l'écriture de "Condamné à vivre", qui vient de paraître chez Flammarion.

Un homme qui sait qu'il mérite la prison

L'homme était quasiment né pour vivre un enfer. Fils d'un braqueur sénégalais sans papier exécuté par des rivaux et d'une Italienne issue d'une famille mafieuse, il a grandi dans une de ces nombreuses banlieues défavorisées de France. Lui, c'était à La Noue, à Montreuil. Et l'école, il ne l'a que trop peu fréquentée. Très vite, il commence les petits délits et se retrouvera emprisonné à 24 ans, en 2002, pour la "tentative d'homicide" d'un policier. Tirs à la kalachnikov sur des policiers, la suite logique de ses nombreux vols à main armée et braquages sanglants...

Pour un détenu agressif qui s'évade, le mitard est habituel

De Fresnes à Clairvaux en passant par Bois-d'Arcy, Lannemezan ou Villefranche-sur-Saône, il dépeint en plus de 300 pages la dizaine de prisons où il a séjourné depuis son incarcération. Enclin à l'évasion, aux agressions contre les gardiens et à la confection de pics à glace artisanaux, Top insiste sur ses nombreux passages au quartier disciplinaire et surtout à l'isolement, "prison dans la prison" où il se sent réduit à l'état "de détritus". "Posez-vous la question: être traité comme un objet usagé, y survivrais-je? Simple à savoir. Prenez une couverture et restez une journée entière, nuit comprise, allongé dans une décharge", écrit le prisonnier, classé parmi les quelques centaines de "détenus particulièrement signalés" de France.

La "torture blanche"

"Au cachot, j'ai entendu des braqueurs pleurer, j'ai vu des terroristes gémir de douleur, des jeunes se pendre, boire de l'eau de Javel...", poursuit-il, évoquant "une torture blanche" où l'absence de contacts humains "rend fou", plus sûrement que la faim, le manque de lumière et les bruits incessants. Le mitard où il est parfois resté des semaines d'affilée, volontairement empêché de dormir et montre déréglée pour lui faire perdre toute notion du temps. Le mitard où il avait droit à une fouille corporelle plusieurs fois par jour, où il croupissait dans ses vêtements sales qu'il retrouvait après chaque séance de douche glacée.

Etre jeté en pâture, nu dans une cellule, à la merci de la libido débordante de codétenus

Au-delà de ce témoignage rare sur l'isolement, dispositif dont l'usage abusif a valu à la France une condamnation par la Cour européenne des droits de l'homme en 2009, on apprend au fil des pages les tactiques des gardiens de prison pour briser les détenus comme lui, y compris en dehors de ces zones de très haute sécurité. Se faire tabasser par des gardiens encagoulés ou se faire jeter nu dans une cellule... dans le but que d'autres détenus viennent violer le détenu récalcitrant. De la vengeance pure.

Description de chaque prison, de la plus digne au pire mouroir

El Hadj Omar Top décrit également la grande diversité des conditions de détention, de centrale en maison d'arrêt. "Gamelle pire que le vomi" et rats à Fresnes, dans le Val-de-Marne, contre "prison exemplaire" à Bois-d'Arcy, dans les Yvelines, avec ses douches propres et son gymnase. Quiétude et vue sur le pic du Midi à Lannemezan, dans les Pyrénées, contre cellules "pas plus larges qu'une tombe" à Clairvaux, centrale ultrasécurisée dans l'Aube. Au fil de son tour de France pénitentiaire, on voit le détenu s'endurcir à cette "école""tout le monde médite plusieurs crimes en secret", organisant des tournois d'"ultimate fighting" en pleine promenade et traquant les "balances" qu'il faudra rouer de coups.

Il obtient pourtant une licence en math, se marie et a un enfant

Insoumis et violent, le prisonnier réussit pourtant à s'assagir le temps de mener à bien une licence de mathématiques, saluant les "hommes merveilleux" qui l'ont formé entre deux séjours au mitard, et découvrant sa propre soif de connaissance. Surtout, il aspire à se "construire en homme" depuis son mariage avec Clara, visiteuse de prison qui lui a donné fin 2011 un enfant conçu au parloir. Jusque-là indifférent à la justice, dont il disait "ne rien attendre", Top cherchera parmi ses jurés lyonnais, en avril prochain, "des hommes et des femmes pour croire encore" en lui.

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