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La banlieue veut en finir avec les clichés et la "maltraitance médiatique"

Les banlieues, des ghettos régis par la violence, les trafics et l'islamisme? Habitants et élus se sentent "maltraités" par "les médias", qu'ils n'hésitent plus à attaquer en justice. Un sujet qui pourrait figurer en bonne place dans le très attendu rapport Borloo.

A Evreux, comme à Grenoble ou Bobigny, les habitants qui ont déposé plainte ces dernières années contre des chaînes de télé font tous le même constat: "Ce n'est pas mon quartier, ce n'est pas la réalité que je vis".

Un hiatus mis en évidence par une étude du Crédoc (Centre de recherches pour l'étude et l'observation des conditions de vie), qui montrait en 2014 que le regard porté par les Français sur les quartiers sensibles, où vivent 8% de la population, s'était "durci". Mais elle soulignait dans le même temps que ceux qui vivent ou travaillent dans ces banlieues sont plus nombreux que la moyenne à estimer que la situation s'y est améliorée.

Dernière controverse en date: un reportage de France 2 accusant un bar-PMU de Sevran (Seine-Saint-Denis) de bannir les femmes. Son patron a porté plainte en juin dernier pour diffamation et incitation à la haine raciale.

"Il y a des difficultés, évidemment, on n'est pas dans un discours de bisounours. Mais on subit aujourd'hui une réelle maltraitance médiatique", estime Driss Ettazaoui, vice-président MoDem de l'association des maires Villes et Banlieue de France (AMVBF), qui a piloté un groupe de travail sur l'"image des quartiers" dans le cadre de la mission confiée à l'ex-ministre Jean-Louis Borloo, censée relancer la politique de la Ville. Son rapport est attendu prochainement.

En 2015, le CSA avait recadré M6 pour un reportage de Zone interdite intitulé "Quartiers sensibles: le vrai visage des nouveaux ghettos", consacré notamment à Evreux, dont Driss Ettazaoui copréside l'agglomération. "Un reportage comme celui-là, c'est la dignité des 5,5 millions d'habitants des quartiers prioritaires qui est jetée aux chiens", s'émeut-il. Selon lui, cela "balaie en quelques minutes les investissements de plusieurs années".

- "Diffamation territoriale" -

Pendant plusieurs semaines, son groupe de travail - élus, militants associatifs, journalistes, membre du CSA... - a auditionné les patrons des grands médias.

Parmi ses propositions: la création d'un temps d'antenne dédié aux quartiers dans l'audiovisuel public, d'un annuaire de "personnes ressources" ou encore l'octroi d'aides financières aux médias de proximité.

Côté "défensif", le groupe plaide pour un élargissement des possibilités de saisine du CSA et du Défenseur des droits. "Il faudrait aussi faire évoluer le droit pour créer un délit de diffamation territoriale", insiste Driss Ettazaoui. De fait, la plupart des procédures lancées par les habitants ne peuvent aboutir, à l'instar de celle menée en 2014 par un collectif de Grenoblois de la Villeneuve ulcérés par un reportage d'Envoyé spécial.

Pour Erwan Ruty, qui crée des médias dans les quartiers et dirige le Medialab93, un incubateur, on a échoué à "faire accéder les quartiers à la normalité médiatique".

"Il y a de très bons reportages. Mais, pour l'essentiel, les médias traitent de l'extraordinaire, positif ou négatif, et ne savent pas parler du quotidien du cœur de la France populaire, comme Jean-Pierre Pernaut le fait pour la France rurale", dit-il.

A ses yeux, il y a eu après les révoltes de 2005 des "tentatives épisodiques" pour rectifier le tir mais "rien de structurel". Et de déplorer: "Toutes les émissions dédiées ont disparu de l'audiovisuel public et les initiatives originales, à l'image du Bondy Blog, n'ont pas été soutenues".

Pour le sociologue Jérôme Berthaut, auteur en 2013 de "La banlieue du 20 heures", la surmédiatisation de la délinquance dans les quartiers s'explique surtout par un mouvement général d'engouement pour le "fait divers".

L'universitaire concède que "les injustices dans les milieux populaires sont peu traitées" et que "les prises de position des habitants ne sont pas présentées sur le même plan que les autres".

Mais, à ses yeux, les quartiers populaires ne sont pas les seuls "maltraités" par les médias "mainstream": "Regardez les thématiques sociales, ça n'intéresse pas davantage".

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