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Le combat d'anciens enfants placés pour éviter "la rue à 18 ans"

Enfant, elle a été ballottée de familles d'accueil en foyers, avant de basculer à 18 ans dans l'errance de la rue et la prostitution. Comme Claudia, d'anciens enfants placés se battent pour que des milliers de jeunes ne soient pas livrés à eux-mêmes à leur majorité.

"Ils sont censés nous protéger, et puis du jour au lendemain, ils nous abandonnent!", enrage la jeune fille, 20 ans aujourd'hui, "en colère" contre les services de l'Aide sociale à l'enfance (ASE).

Constatant qu'un quart des sans-abri âgés de 18 à 25 ans ont été des enfants placés, un collectif récemment créé, #LaRueÀ18Ans, plaide pour que les jeunes concernés soient systématiquement accompagnés une fois adultes, jusqu'à leur pleine insertion dans la société.

La solution, expliquent ces militants, doit passer par les "contrats jeunes majeurs", des dispositifs permettant de maintenir, parfois jusqu'à 21 ans, une assistance éducative et financière.

Pour l'heure, difficile de savoir combien de jeunes majeurs en bénéficient, ou à l'inverse sont "lâchés dans la nature" à leur majorité. Selon l'Observatoire national de la petite enfance, un peu plus de 20.000 jeunes de 18 à 21 ans bénéficiaient fin 2017 d'une mesure de suivi. Soit environ un tiers seulement des personnes potentiellement concernées, selon Antoine Dulin, auteur d'un rapport pour le compte du Conseil économique, social et environnemental (Cese), qui évoque un "énorme gâchis".

En outre, "les situations sont très disparates d'un département à l'autre", concernant la durée comme le contenu de cet accompagnement, déplore Lyes Louffok, 24 ans, ancien de l'ASE et cofondateur du collectif #LaRueÀ18Ans.

Pour Claudia, tout a basculé le jour de ses 18 ans. Après une adolescence très instable, entre foyers et hôtels sociaux payés par l'ASE, elle s'est vu refuser un contrat jeune majeur au motif que, longtemps déscolarisée, elle n'avait pas de projet précis pour entamer sa vie d'adulte.

- Aucune contrainte -

La jeune fille passe les premiers jours à l'hôtel, payés sur ses maigres économies, puis se retrouve à la rue: elle dort dans des halls de gare à Paris, et en vient rapidement à se prostituer, via une annonce sur Instagram.

Repérée par des proxénètes qui l'exploitent pendant plus d'un an, elle tente de s'enfuir, est battue, hospitalisée, puis recueillie par une association. Elle vit aujourd'hui en colocation à Paris, rêve de décrocher un bac littéraire puis de devenir avocate.

Pour empêcher de tels parcours, le gouvernement a intégré cette problématique des "sorties sèches" de l'ASE dans sa stratégie antipauvreté, présentée à l'automne dernier. Dans ce cadre, 12 millions d'euros par an sont prévus pour les conseils départementaux qui accepteraient de signer des contrats jeunes majeurs.

Parallèlement, l'exécutif a confié à d'anciens enfants placés l'élaboration d'un référentiel recensant les bonnes pratiques à mettre en place par les départements, notamment pour que les jeunes aient accès à un logement, ou pour qu'ils puissent choisir un adulte référent chargé de les épauler.

Le problème, pour les membres du collectif, c'est que ce dispositif repose sur la bonne volonté des collectivités locales, mais ne les contraint à rien. Ils estiment en outre qu'il faudrait non pas 12 millions, mais 300 millions d'euros par an pour accompagner les jeunes majeurs. Une somme à comparer aux 8 milliards que les départements investissent chaque année pour la protection de l'enfance.

Du côté de l'Association des départements de France (ADF), on indique "partager l'objectif" d'un maintien du suivi, mais on souligne que l'Etat doit compenser les coûts.

Pour l'heure, un grand nombre de conseils départementaux "se sont désengagés" de cette problématique, déplore la députée (LREM) Brigitte Bourguignon, qui vient d'être chargée par le gouvernement d'une mission de réflexion sur ces questions.

"On doit mettre chacun devant ses responsabilités, Etat et départements", ajoute l'élue du Pas-de-Calais, auteure d'une proposition de loi visant à rendre systématique le contrat jeune majeur quand la personne n'a aucune ressource ou est en rupture familiale.

- Force mentale -

Le gouvernement, par la voix du secrétaire d'Etat chargé de la Protection de l'enfance, Adrien Taquet, n'a pas indiqué explicitement s'il soutiendrait cette proposition, qui doit être examinée le 6 mai à l'Assemblée nationale. Du fait de la disparité des politiques menées à travers le territoire, il est plus pertinent de s'interroger sur le contenu du contrat jeune majeur plutôt que sur son éventuelle systématisation, fait valoir M. Taquet.

"De la démagogie! Si l'Etat donne aux départements l'argent nécessaire, ils le feront, cet accompagnement!", balaye Fouzy Mathey, une ancienne de l'ASE qui a participé à l'élaboration du référentiel destiné aux collectivités.

La jeune femme, 30 ans aujourd'hui et consultante, a elle-même bénéficié d'un contrat jeune majeur "plutôt généreux", qui lui a permis d'étudier dans une coûteuse école de commerce. Mais l'accompagnement s'est arrêté trop tôt, si bien qu'elle n'a pas pu terminer ses études et a vécu deux semaines à la rue. "Je me bats pour que tout le monde ne vive pas ça. J'ai beaucoup de force mentale, mais ce n'est pas le cas de tout le monde".

Lorsqu'on se retrouve seul à 18 ans, "il faut avoir un sacré caractère pour s'en sortir", confirme Perrine Goulet, députée LREM qui a créé la surprise en révélant en novembre, dans l'hémicycle de l'Assemblée, qu'elle avait été une enfant placée.

L'élue de la Nièvre, rapporteure d'une autre mission d'information sur l'ASE, dit n'avoir pas subi ce problème de "sortie sèche" à 18 ans, mais milite pour que l'accompagnement devienne un "droit opposable". Les départements, souligne-t-elle, "doivent se comporter comme n'importe quel parent, en aidant les jeunes dont ils ont la charge jusqu'à ce qu'ils soient vraiment insérés, même si c'est à 24 ans".

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