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Le "Mur des cons" du Syndicat de la magistrature épinglé par la justice

La justice a sévèrement critiqué jeudi le "Mur des cons" du Syndicat de la magistrature, un trombinoscope injurieux et "inconcevable de la part de magistrats", mais a presque entièrement relaxé l'ex-présidente du syndicat, Françoise Martres, pour des questions de forme.

Dans cette affaire vieille de six ans, Mme Martres, une magistrate de 61 ans, était poursuivie devant le tribunal correctionnel de Paris pour "injures publiques" par une quinzaine de plaignants, essentiellement des personnalités politiques de droite ou d'extrême droite.

La révélation de l'existence de ce "Mur" désormais fameux dans les locaux parisiens du Syndicat de la magistrature (SM), classé à gauche, avait suscité une vive polémique en avril 2013.

Une vidéo filmée discrètement par un journaliste de France 3 de passage avait révélé que des dizaines de photos de politiques, magistrats ou journalistes, étaient accrochées sur ce trombinoscope. Ces images avaient ensuite été diffusées sur le site d'Atlantico.

À toutes les questions juridiques qui s'étaient posées jusqu'au procès, en décembre, le tribunal a apporté des réponses sévères pour la magistrate, poursuivie en tant qu'"éditrice" du trombinoscope.

Pour les juges, le "Mur" - qui ne "s'inscrit dans aucun débat d'idées lisible, aucune polémique syndicale ou même politique" - est bien injurieux envers les plaignants. Injure rendue "publique" par Mme Martres, qui l'a "sciemment" mis sous les yeux du journaliste Clément Weill-Raynal.

Le tribunal a aussi estimé que l'ex-responsable, arrivée à la tête du SM à un moment où le "Mur" n'était vraisemblablement plus mis à jour, "a contribué au maintien de cet affichage" par son "inaction" pour le faire enlever, et que les faits ne sont pas prescrits.

Les juges ont étrillé "une composition collective obéissant à des règles définies par les membres du syndicat et n'ayant jamais fait l'objet d'une remise en cause de leur part".

Les avocats de Françoise Martres soutenaient exactement l'inverse : des faits prescrits, concernant un affichage informel, dans des locaux privés. Le parquet, qui avait requis sa relaxe, également.

Mme Martres, qui n'a pu assister au délibéré, avait décrit le "Mur" comme un "exutoire" s'inscrivant "dans un climat extrêmement violent où les attaques contre la justice venaient du pouvoir exécutif" notamment sarkozyste.

Mais "l'action de l'autorité judiciaire a besoin de la confiance des citoyens pour prospérer", ont insisté les juges. "La conception, la réalisation, la publication et la diffusion du +Mur des cons+ étaient inconcevables de la part de magistrats, compte tenu de la mission et du rôle particuliers de l'autorité judiciaire dans une société démocratique".

- "Courageux" -

En dépit de ce constat accablant, Françoise Martres a été presque entièrement relaxée.

Neuf élus ou ex-élus de droite comme Patrick Balkany et Eric Woerth ont en effet été déboutés, car leurs plaintes visaient des injures "envers un membre de l'Assemblée nationale" quand le tribunal n'a pu déterminer si leurs fonctions étaient visées.

"Ce qui compte, c'est que le comportement que nous dénoncions soit reconnu comme constitutif d'un délit", a salué l'un de leurs avocats, Me Jean-Yves Le Borgne.

Robert Ménard et le Rassemblement national - qui s'estimait visé par l'inscription "Amuse-toi à coller une petite flamme sur le front des cons fascistes" - ont été déboutés, car leurs plaintes étaient incomplètes. Et les tardifs ralliements de Nadine Morano, Dieudonné, Philippe de Villiers et Nicolas Dupont-Aignan ont été déclarés irrecevables.

Le général Philippe Schmitt, qui avait critiqué le "laxisme" de certains juges après l'assassinat de sa fille par un récidiviste dans le RER en 2007, est seul à avoir obtenu pleine satisfaction : Françoise Martres a été condamnée à lui verser 5.000 euros de dommages et intérêts et 10.000 euros au titre des frais de justice, ainsi qu'à 500 euros d'amende avec sursis.

"Je trouve très courageux que des magistrats aient pu avoir ce jugement contre d'autres magistrats", a-t-il réagi.

Antoine Comte, l'avocat de Françoise Martres, a déploré "une série d'erreurs" du tribunal puisque Mme Martres "n'a pas participé" au "Mur", sans se prononcer sur un éventuel appel.

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