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Le parquet de Paris a tenté de perquisitionner la rédaction de Mediapart dans l'affaire Benalla: "Une attaque au secret des sources"

Déjà tentaculaire, l'affaire Benalla connaît un nouveau front: le parquet de Paris a tenté de perquisitionner Mediapart ce lundi, après la diffusion la semaine passée d'une conversation entre l'ancien conseiller d'Emmanuel Macron et Vincent Crase, ancien gendarme réserviste et ex-responsable adjoint de la sécurité de La République en marche, quelques jours après leur mise en examen en juillet.

Cette nouvelle enquête a été ouverte pour "atteinte à l'intimité de la vie privée" et "détention illicite d'appareils ou de dispositifs techniques de nature à permettre la réalisation d'interception de télécommunications ou de conversations", autrement dit sur les conditions dans lesquelles cet enregistrement a été réalisé, selon une source judiciaire.

Le média en ligne a indiqué avoir refusé lundi matin une perquisition dans ses locaux, où s'étaient présentés deux magistrats du parquet et des enquêteurs qui voulaient saisir les enregistrements en question dans le cadre de cette procédure. "Il y a des diligences pour trouver nos sources, c'est une situation particulièrement inquiétante", a dénoncé auprès de l'AFP Fabrice Arfi, co-responsable des enquêtes du journal en ligne.


Les explications de Mediapart

Ce lundi après-midi, Mediapart a tenu une conférence de presse, retransmise en direct sur sa page Facebook (voir en bas de l'article). "C'est une façon de porter atteinte, non pas à nous, mais à la liberté de dire et de savoir qui est protégée par la loi de 1880", a notamment commenté Edwy Plenel, directeur de Mediapart. "Nous ne sommes pas au-dessus des lois, nous publions des articles, des enquêtes, des informations et, sous notre république tant qu'elle reste démocratique, nous en rendons compte dans le cadre d'une loi qui protège la liberté de la presse. Le droit de savoir des citoyens, la loi de 1880", a-t-il encore expliqué.

C'est ensuite son collègue Fabrice Arfi qui a pris la parole devant le parterre de journalistes. "Pourquoi nous considérons comme extrêmement grave ce qui vient de se passer? Comme Edwy vient de le dire, c'est inédit, c'est une attaque au sel même de l'enjeu démocratique du journalisme, le secret des sources. Sans sources nous ne sommes rien, il n'y a pas d'information", a-t-il confié.


Mediapart pointe une "potentielle affaire d'état"

Le journaliste a ensuite tenu à rappeler les enjeux de l'affaire et son incompréhension face à cette tentative de perquisition: "Ça nous surprend pour au moins deux raisons. La première, c'est le contraste vertigineux qu'il y a entre la gravité des faits que nous avons révélés jeudi dernier. Nous parlons d'un ancien collaborateur du président de la république et de l'ancien responsable du parti présidentiel, qui au mépris du contrôle judiciaire dans le cadre de leur mise en examen, violent le contrat judiciaire, se rencontrent secrètement à Paris le 26 juillet. Pas pour parler de leurs enfants ou de leurs familles, mais pour détruire des preuves, pour dissimuler des preuves. Il est notamment question d'aller de nuit dans les locaux de La République en marche pour faire du nettoyage avant une perquisition. Parallèlement nous révélons dans le même article ce qui constitue, et nous pesons les mots, une affaire d'état. L'affaire du contrat russe. Voilà que nous apportons les preuves définitives après plusieurs mois d'enquête, qu'un homme dépositaire par sa fonction des secrets de la présidence de la république, monsieur Benalla, alors qu'il est à l'Elysée, est impliqué, y compris financièrement, dans un contrat sécuritaire avec un oligarque russe proche de Vladimir Poutine, soupçonné par plusieurs magistrats européens d'être lié au pire groupe criminel de Moscou. Voilà les faits que nous révélons et que nous sommes prêts à assumer devant la justice".

"Et quelle est la diligence du parquet de Paris face à ça? C'est de venir perquisitionner le journal parce que monsieur Benalla serait la victime d'une atteinte à sa vie privée et celle de monsieur Crase. Et de savoir les conditions dans lesquelles nous avons pu révéler ces informations qui mettent monsieur Benalla et Crase et consorts dans le plus grand des embarras, et la présidence de la république, dans le plus grand des silences. Nous parlons d'une potentielle affaire de compromission au sommet de l'Etat", a encore indiqué Fabrice Arfi.

Fabrice Arfi s'est dit également surpris par la vitesse d'action du parquet de Paris pour tenter de perquisitionner chez Mediapart, alors qu'il avait fallu 48 heures, selon M. Arfi, pour que le parquet de Paris réagisse aux images montrant M. Benalla agresser des manifestants. "Intervalle durant lequel la chambre forte de monsieur Benalla a disparu, pouvant contenir des documents essentiels à la manifestation de la vérité dans l'enquête. Et sur lequel le parquet de Paris, constatant que la chambre forte avait été déplacée, monsieur Benalla le reconnaissant lui-même en garde à vue, que des personnes, il ne sait pas qui dit-il, étaient venues subtiliser le coffre le temps que la perquisition n'ait pas lieu... Il n'y a pas d'élargissement de l'enquête".



Le site d'information a diffusé des morceaux de conversation

Mediapart avait publié jeudi des extraits d'un enregistrement d'une conversation entre Alexandre Benalla et Vincent Crase, ex-employé de LREM et gendarme réserviste. Selon le site d'information, cette conversation a eu lieu le 26 juillet, quelques jours après que les deux hommes ont été mis en examen pour des violences sur des manifestants le 1er mai 2018 et en violation de leur contrôle judiciaire.

Alexandre Benalla s'y targue du soutien du président de la République, alors que l'"affaire" qui porte son nom a éclaté quelques jours plus tôt et crée des remous jusqu'au sommet de l'État. "Truc de dingue, le 'patron' (Emmanuel Macron, ndlr), hier soir il m'envoie un message, il me dit: 'Tu vas les bouffer. Tu es plus fort qu'eux, c'est pour ça que je t'avais auprès de moi. Je suis avec Isma (Ismaël Emelien, conseiller spécial du président, ndlr), etc. On attend Le Monde, machin, etc.'", dit-il dans cet extrait à la très bonne qualité sonore.


Pas de plainte de M. Benalla

La source judiciaire a précisé que l'ouverture de l'enquête préliminaire est intervenue à la suite de la réception par le parquet de Paris d'"éléments", dont la nature n'a pas été précisée.

Une source proche de l'enquête a ajouté qu'elle n'avait pas été déclenchée à la suite d'une plainte de M. Benalla. "Comme on est dans le cadre d'une enquête préliminaire, nous avons le droit de refuser une perquisition et nous l'avons donc évidemment refusée, en nous permettant de commenter cette situation inédite dans l'histoire du journal, et que nous considérons comme particulièrement grave pour le journal", a également expliqué M. Arfi.

Depuis juillet, l'affaire Benalla a connu de multiples épisodes, judiciaires comme politiques, qu'il s'agisse des violences du 1er-Mai, de l'utilisation des passeports diplomatiques ou des SMS que l'ancien collaborateur présidentiel dit avoir échangé avec Emmanuel Macron après son licenciement de l'Élysée l'été dernier.

Mediapart affirmait également la semaine passée qu'Alexandre Benalla aurait été impliqué directement dans un contrat de sécurité signé par Vincent Crase avec Iskander Makhmoudov, un oligarque russe, "proche de Vladimir Poutine" et "soupçonné par plusieurs magistrats européens d'accointances avec l'un des pires groupes criminels moscovites".

Or, M. Benalla travaillait encore à l'Elysée à l'époque. Ce dernier et M. Crase avaient affirmé le contraire devant la commission d'enquête sénatoriale constituée à l'été 2018 après les premières révélations du Monde sur cette affaire.


D'autres perquisitions ou tentatives ciblant des médias

Avant Mediapart, d'autres médias ont fait l'objet de perquisitions ou de tentatives de perquisitions au cours des dernières années.

En 2007, un magistrat avait par exemple tenté de perquisitionner Le Canard enchaîné, dans le cadre d'une procédure pour "violation du secret de l'instruction" concernant l'affaire Clearstream. Les journalistes avaient refusé de lui donner les clés permettant d'ouvrir la salle de rédaction.

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