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Les militaires au centre de la sécurité à Rio: un bilan mitigé

La présence de l'armée au coeur du dispositif de sécurité de l'État de Rio de Janeiro arrive à son terme au 31 décembre, avec une baisse de certains indicateurs de la violence, mais une augmentation sensible des morts lors d'opérations policières.

"Nous avons rempli notre mission", a affirmé jeudi le général Walter Souza Braga Netto, qui depuis mi-février dirigeait, en vertu d'un décret présidentiel, les forces de sécurité de l'État de Rio, porte d'entrée du tourisme au Brésil.

Cette mesure exceptionnelle et particulièrement drastique, baptisée "Intervention fédérale", a été prise par le président Michel Temer, pour qui les autorités locales n'étaient pas en mesure de faire face à la flambée de la violence.

Elle prend fin comme prévu à la fin de l'année, mais le prochain gouverneur de l'État, Wilson Witzel, qui prend ses fonctions le lendemain, a déjà indiqué qu'il comptait employer la méthode forte contre les narcotrafiquants. Il envisage notamment de les abattre à l'aide de snipers.

Sa proposition cadre avec le discours sécuritaire du président élu d'extrême droite Jair Bolsonaro, qui veut libéraliser le port d'armes dans un pays où ont lieu près de 64.000 homicides par an.

De mars à novembre, avec l'armée aux commandes de la sécurité à Rio, le nombre d'homicides volontaires a chuté de 6% par rapport à la même période de l'année précédente, avec des baisses significatives au cours des quatre derniers mois.

Les chiffres officiels de l'Institut de sécurité publique (ISP) de Rio font aussi état d'une baisse importante du nombre de braquages de cargaisons (-19,6%), qui reste toutefois ahurissant, à 6.675, soit plus de 20 par jour en moyenne.

Mais le nombre de personnes ayant trouvé la mort lors d'opérations policières a augmenté d'environ 38%.

Ainsi, le nombre total de morts violentes reste près de 2% plus élevé par rapport à la même période de 2017, totalisant 4.871 victimes.

Par ailleurs, 94 policiers ont été tués en service en 2018, contre 134 l'année précédente.

- "Primes far-west" -

"Les responsables de l'intervention militaire font beaucoup de publicité autour de la baisse de certains types de vol", explique la sociologue Julita Lemgruber, du Centre de recherches sur la sécurité et la citoyenneté (Cesec) de l'Université Candido Mendes. "Mais quand on voit le nombre total des homicides (...) il n'y a pas eu de réduction".

Depuis le début de l'année, 1.444 personnes ont été tuées par des policiers, soit près de quatre par jour, un record depuis que cette statistique est établie par l'ISP, soit depuis 1999, et ce sans même inclure les chiffres de décembre.

"Nous sommes en train de revenir au niveau des années 90, quand il existait des primes pour bravoure surnommées 'primes far-west', qui récompensaient en fait les policiers qui tuaient le plus", rappelle Julita Lemgruber.

La sociologue souligne que la plupart des victimes de la violence à Rio habitent des favelas. Ces quartiers pauvres à forte densité rassemblent près d'un quart de la population, la plupart du temps dans des conditions insalubres et sous le joug de narcotrafiquants ou de milices paramilitaires.

"C'est inacceptable qu'on donne aussi peu de valeur à la vie des habitants des favelas, aux jeunes Noirs pauvres", affirme-t-elle.

D'après les chiffres de l'ISP, 97% des personnes tuées par la police cette année étaient des hommes, 77% des Noirs ou des métis, et 35% des jeunes de 18 à 29 ans.

"Cette intervention était plus politique que vraiment efficace. Au fond, rien n'a changé, les politiques répressives sont toujours les mêmes", déplore José Luiz, styliste habitant Rocinha, la plus grande favela de Rio.

- Mesures musclées -

Par ailleurs, la plateforme numérique Fogo Cruzado, qui recense les fusillades à Rio, en a compté 8.237 depuis l'entrée en vigueur du décret jusqu'au 15 décembre, soit 59% de plus que sur la même période en 2017.

Le 30 novembre, le parquet brésilien a ouvert une enquête sur des faits présumés de torture attribués à des militaires.

Un rapport officiel a également recensé plus de 500 dénonciations de violations des droits de l'Homme, y compris plusieurs accusations de viol.

À partir du 1er janvier, le gouverneur Wilson Witzel gèrera lui-même les forces de sécurité, sans la tutelle des militaires. Et il a déjà prévu un arsenal de mesures musclées.

La plus polémique d'entre elles: la formation de tireurs d'élite amenés à abattre des criminels armés, même s'ils ne représentaient pas une menace pour des policiers.

Il envisagerait également d'utiliser des drones fabriqués en Israël, qui pourraient tirer à distance sur les trafiquants.

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