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Macron, une parole orchestrée en court-circuitant les médias

Emmanuel Macron est sorti de son silence sur l'affaire Benalla en tenant la presse à distance et en orchestrant lui-même sa communication, fidèle à sa volonté de ne pas se laisser imposer le cadre et le tempo de la parole présidentielle.

Plutôt que de s'adresser aux Français via les journalistes, le président a misé sur la dimension virale des réseaux sociaux et sur une large diffusion de ses déclarations devant des fidèles, parlementaires et membres du gouvernement, mardi soir.

Sitôt son discours entamé, des photos sont apparues sur la toile. Des députés présents ont ensuite rapporté les propos présidentiels avant qu'un participant fournisse à des médias, dont l'AFP, un enregistrement audio de 27 minutes et deux vidéos de 6 minutes.

Cette séquence de fuite organisée "n'est pas une improvisation. C'est une communication à part entière", estime un expert en communication politique proche du pouvoir. "Pour s'adresser aux Français, on n'est plus obligé de causer dans le poste!"

S'appuyer sur les réseaux sociaux pour se passer des médias traditionnels, la méthode a déjà été éprouvée par l'équipe présidentielle avec la phrase sur le "pognon de dingue" des aides sociales, diffusée en ligne par sa directrice de communication, avant un discours stratégique de politique sociale.

- Un "faux off" -

Sauf que l'intervention de mardi soir va plus loin et s'apparente à "un faux off", pour l'historien des médias Christian Delporte, avec des images fournies rapidement et des "éléments de langage tenus le soir-même à la télévision" par des représentants de la majorité. Comme après une intervention médiatique classique.

Pour la presse, impossible donc de faire l'impasse sur ces déclarations.

Mais à l'ère des "fake news", ils doivent composer avec une source "peu satisfaisante" et pas forcément de première main, souligne Jean-Marie Charon, un expert des médias qui y voit pour Macron une manière d'imposer "un agenda" à la presse.

Luc Bronner, le directeur de la rédaction du Monde, le journal qui a révélé les faits, estime dans un billet publié mercredi qu’"à travers cette intervention, devant un public de fidèles, sans contradiction possible, M. Macron choisit d’éviter la plupart des questions soulevées depuis le déclenchement de cette affaire".

"Il faut comprendre sa psychologie. C'est quelqu'un qui admet assez difficilement s'être trompé. Et il a horreur de donner le sentiment de répondre à une pression médiatique et politique", souligne un expert en communication politique, qui requiert l'anonymat.

Emmanuel Macron l'a d'ailleurs clamé mardi: "J'ai plutôt pris ce pli de choisir le moment où je parle et ne pas me le faire dicter. Et je continuerai à procéder de la sorte".

- "Crise de communication" -

S'il a imposé sa manière de faire, son intervention -- après une semaine de silence et l'annulation de sa présence sur le Tour de France -- témoigne d'une certaine fébrilité et de la gravité de la crise, soulignent les experts interrogés.

"La dramatisation de son intervention était excessive, quand il dit +qu'ils viennent me chercher+, il a fait le bravache. Je pense que l'homme est atteint dans cette crise et il perd un peu les pédales", estime Dominique Wolton, spécialiste en communication politique au CNRS.

L'affaire Benalla a également "changé le regard de la presse sur cette présidence. L'état de grâce est terminé", pour l'historien de la presse Alexis Levrier.

Car "les journalistes ont compris qu'une dérive populiste est possible", souligne celui qui y voit un "tournant majeur du quinquennat". En cause: les attaques du chef de l’État contre la presse, qui a révélé l'affaire Benalla et diffusé les vidéos montrant ce collaborateur du président molestant un manifestant le 1er mai.

Pour Franck Louvrier, ancien conseiller en communication de l'ex-président Nicolas Sarkozy, l'erreur a été de transformer "une communication de crise en crise de communication", après une "semaine de mutisme et de matraquage" qui a installé une forme de "feuilletonage". "C'est une erreur de communication majeure", dit-il, avec une présidence qui, "ne maitrisant plus les révélations, (n'est) plus maître des horloges".

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