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Mai 68 dans les collèges et les lycées: "la levée d'une chape de plomb"

"La levée d'une chape de plomb": pour les élèves des collèges et lycées, Mai 68 a permis de faire souffler un vent de liberté même si de nombreux changements étaient déjà en germe depuis des années.

Mixité entre filles et garçons dans les classes, disparition des blouses et des classements, pantalons et maquillage autorisés pour les filles, relations modifiées entre professeurs et élèves... "Mai 68 a servi de catalyseur à des évolutions entamées des années auparavant", relève Youenn Michel, historien de l'éducation.

"Un vent de liberté soufflait. On n'allait plus en cours, on faisait des AG!", se souvient Danièle Navello, alors en Seconde au lycée Michelet de Montauban (Tarn-et-Garonne). C'était "la levée d'une chape de plomb. On parlait, on parlait", abonde sa sœur, Martine, sa cadette d'un an. La blouse (rose une semaine, bleue l'autre semaine) disparaît à la rentrée suivante.

Si l'uniforme n'a jamais été la norme dans les écoles publiques en France, rappelle l'historien Claude Lelièvre, les enfants du primaire portaient des blouses pour des raisons pratiques (éviter les tâches d'encre sur les habits). Dans le secondaire, le port des blouses, surtout pour les filles, relevait du règlement de chaque établissement.

Autre nouveauté d'ampleur au lycée Michelet à la rentrée 68: le mélange filles-garçons. "Je n'en revenais pas de ce que les garçons s'autorisaient à faire en classe: ils prenaient la parole, se balançaient sur les chaises, mâchaient du chewing-gum, alors que nous les filles étions super obéissantes", témoigne Martine.

La mixité existait toutefois avant Mai 68 dans certains établissements, et notamment à la campagne, note Youenn Michel. Elle s'est généralisée dès les années 50 non pour suivre l'évolution des moeurs mais pour des raisons de coûts et les collèges construits à partir des années 60 accueillaient filles et garçons, ce qui permettait de construire un seul établissement.

Bruno Andrieu, alors en Troisième au lycée Alphonse-Daudet de Nîmes, résume d'une formule l'ambiance de l'époque: d'"un régime à l'ancienne", on est passé à "la grande foire" à la rentrée suivante. "Cela s'est remis progressivement en ordre, mais l'agitation, les discussions, les débats avec des représentants de la société civile invités au sein de l'école ont perduré".

La cigarette est autorisée dans la cour ... et en classe. "On organisait des écrans de fumée pour cacher ceux qui bullaient au fond", se souvient-il.

- "Eviter les révolutions" -

Les sanctions laissent aussi la place à "l'autodiscipline", via l'instauration de "sortes de tribunaux populaires composés d'élèves, un peu dans l'esprit des gardes rouges (mouvement de masse en Chine comprenant en grande partie des étudiants et lycéens), qui heureusement n'ont pas fonctionné longtemps", ajoute son frère, Jean-Pierre, un an plus âgé.

Les deux frères se souviennent de "changements brutaux dans les rapports avec les profs, dont pas mal étaient déstabilisés".

Pour donner la parole aux élèves, de manière plus encadrée, est créée la fonction de délégués de classe, qui participent aux conseils de classe et d'établissement. Les compositions trimestrielles, les classements et les remises de prix sont supprimés, mais le remplacement des notes sur 20 par des lettres (de A à E) fait long feu.

Mai 68 a entraîné une évolution définitive dans la gestion de la discipline, relève Youenn Michel. D'autant que les années 70 ont été marquées par un recrutement massif de jeunes enseignants -- dont beaucoup de femmes -- qui "vont réinventer de nouvelles formes d'autorité".

A l'aube des événements qui bouleversèrent la France, le très gaulliste Alain Peyrefitte (ministre d'avril 1967 à mai 1968) avait néanmoins senti le vent du changement, souligne Claude Lelièvre. Le ministre réfléchissait en effet à des mesures concrètes pour dépoussiérer l’Éducation nationale.

La réforme envisagée prévoyait ainsi une disparition du cours magistral "presque complètement à tous les niveaux". Un colloque de hauts fonctionnaires de l'éducation, en mars 1968, se concluait par ces mots du recteur d'Amiens: "le seul moyen d'éviter les révolutions, c'est d'en faire".

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