Accueil Actu

Pour les jeunes migrants, le passage à la majorité est un "couperet"

Pour Mohammed, l'avenir ce sera "une formation commerciale"... s'il obtient un titre de séjour. Car ce jeune migrant guinéen vient d'avoir 18 ans et est donc expulsable. Un destin semblable à celui de milliers de migrants pour qui le passage à la majorité hypothèque toute perspective.

L'odyssée qui l'a mené seul de Guinée jusqu'en France après un conflit familial, Mohammed (prénom modifié) ne la souhaite "même pas à (ses) pires ennemis". Une balafre parcourt sa joue droite, souvenir d'une agression au Maroc, où il attendait que des passeurs l'embarquent sur un Zodiac pour rejoindre l'Europe.

A son arrivée en France en mars 2016, Mohammed a 16 ans et parle mal le français. Il a un certificat de naissance, mais les autorités chargées de déterminer son âge estiment qu'il a dépassé les 18 ans à l'issue d'un test osseux, un procédé jugé peu fiable par certaines associations d'aide aux migrants.

Mohammed ne bénéficie donc pas de la protection accordée aux mineurs étrangers isolés qui relèvent de la protection de l'enfance, une prise en charge gérée par les départements. Selon un rapport du Sénat, les mineurs étrangers isolés pourraient "avoir dépassé les 25.000 à la fin de l'année 2017".

Mohammed, qui se voit intimer une obligation de quitter le territoire français (OQTF), conteste devant la justice et celle-ci reconnaît finalement qu'il est mineur.

Accueilli par une famille du Val-de-Marne, il entame alors sa scolarité dans un lycée professionnel. "Après le bac, je voudrais faire des études de commerce ou peut-être une formation en alternance", s'enthousiasme-t-il. "Ici maintenant, c'est chez moi", résume-t-il, en montrant une photo de son 18e anniversaire fêté avec sa famille d'accueil en décembre.

Mais cet anniversaire a eu un arrière-goût "amer": Mohammed est désormais bel et bien expulsable.

"Une fois majeurs, les migrants sont des sans-papiers avec une OQTF qu'il va falloir contester", indique Violaine Husson de la Cimade, une association d'aide aux étrangers.

- 'On ne veut pas d'eux' -

Mohammed a déposé une demande de titre de séjour en préfecture en janvier, mais il craint que son dossier soit refusé.

"J'ai trop peur", souffle-t-il. Il peut pourtant attester d'au moins six mois de formation destinée à lui "apporter une qualification professionnelle", comme le réclame le Code d'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceséda).

En cas de refus, Mohammed verrait ses rêves d'études de commerce en France s'envoler. Il aurait surtout comme perspective un retour en Guinée.

Mais pour d'autres migrants, le passage à la majorité a un effet bien plus dévastateur.

En décembre, Kantra Doucouré, un Malien tout juste majeur, a mis fin à ses jours en se jetant sous un train en région parisienne. Arrivé mineur en France, il était "parrainé" par Solène Bourgouin, une psychologue nîmoise, et sa famille, chez qui il vivait.

En octobre dernier, il est admis dans un cursus pour suivre un CAP cuisine, mais un mois plus tard son projet est refusé. Sa "prise en charge aurait cessé immédiatement après l'intervention de sa majorité", d'après le Défenseur des droits, médiateur indépendant, qui a annoncé en janvier qu'il allait se pencher sur son parcours.

Les services sociaux lui avaient annoncé que son contrat ne pouvait être signé, "car pour prétendre à un titre de séjour, la préfecture exigeait six mois de scolarisation avant ses 18 ans", détaille Mme Bourgouin.

"Avant 18 ans, du fait d'être mineurs, les migrants sont protégés, mais après leurs 18 ans, il n'y a rien, rien, rien!", s'énerve Solène Bourgouin. La majorité, c'est "un couperet" qui tombe, dit-elle.

Pour Violaine Husson, le refus de valider des projets de formation ne "bouche" pas uniquement l'horizon professionnel des jeunes migrants majeurs non diplômés, "l'idée c'est de les expulser. On ne veut pas d'eux en France".

Le gouvernement a présenté la semaine dernière un "projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d'asile effectif", critiqué pour sa fermeté, qui vise à réduire à six mois les délais d'instruction de la demande d'asile, faciliter la reconduite à la frontière pour les déboutés, tout en lançant quelques pistes pour améliorer le séjour des personnes vulnérables.

À lire aussi

Sélectionné pour vous