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Procès Séréna: le déni de grossesse, encore mal connu, souvent suivi du "chaos"

Le procès en appel de la mère de Séréna, bébé dit "du coffre" découvert en 2013 après deux ans de carences, a tenté d'éclairer vendredi le phénomène encore mal connu du déni de grossesse, le "chaos", la "dissociation" qui peuvent s'ensuivre, sans trancher sur le discernement, le degré de responsabilité pénale.

Prudemment, un pédopsychiatre spécialiste du déni de grossesse et co-auteur d'un livre sur le sujet, le Dr Michel Libert, a brossé pendant cinq heures devant la Cour d'assises d'appel de Limoges un état des lieux des connaissances sur le déni de grossesse, ce qu'on sait et ce qu'"on ne sait pas encore".

Le pédopsychiatre, confronté à une centaine de cas dans sa carrière, a raconté ses premiers, dans les années 90 --même si rappelle-t-il "la grossesse inconsciente" a été décrite dès le début du 20e siècle. Un phénomène "dont la description n'est pas quelque chose de figé", et sur lequel des psychiatres joutent. "Moi je préfère dire: nous ne savons pas, je ne sais pas".

Dans un procès qui a tenté, depuis cinq jours, de saisir quel était le degré de "conscience" de Rosa da Cruz, lorsqu'elle a caché son bébé de 23 mois, la confinant dans un sous-sol ou dans sa voiture, le Dr Libert a suggéré que oui, "on peut, même si on ne fait pas une psychose délirante, avoir une partie de l’espace bien régie par la réalité, et l’autre non". Sans aide extérieure pour "devenir mère", on est alors dans un "espace du secret", une "femme coupée du monde".

Relancé par la présidente et les parties civiles pour savoir si une absence de conscience est plausible sur une telle durée --près de deux ans--, le pédopsychiatre n'a pas fermé la porte. "Sur 23 mois, le déni n'est pas le même que la panique aigüe du début". Il y a des "interstices", des "pièces du puzzle" qui s'agglutinent "pour que le montage tienne le coup". Mais "l'ensemble marque quelque chose de déconnecté".

- "Le déni se fait oublier" -

Pédagogiquement, il a tenté d'éclairer la complexité de la notion, face à une partie civile qui lui demandait si Rosa da Cruz, avec "l'étiquetage" déni de grossesse accolé par les médias dès le début de l'affaire, ne s'était pas "enfermée dans une analyse calquée dès le départ" ? Et qui, de fait, sert sa ligne de défense.

Au départ du déni "il y a un processus inconscient, involontaire, qui l'amène à ne pas être au courant de sa grossesse, et qui se transforme en autre chose", a calmement posé le pédopsychiatre. "Et après, on peut faire toutes les explications qu'on veut, on n'a pas de comparaisons". Et que ce soit pour les scientifiques, l'entourage ou la mère, "le déni quand on veut le saisir et le comprendre, il disparaît (...) Le déni se fait oublier, c’est du rien. C’est difficile de traiter du rien"

Quid, in fine, de l'impact sur le discernement ? a insisté la présidente, car la question est au coeur de la sentence que les jurés --huit femmes et un homme-- devront rendre mercredi. "Je ne peux pas vous dire", a répondu le Dr Libert, soulignant bien qu'il intervenait comme témoin (cité par la défense) et non expert. Et n'a donc pas rencontré l'accusée. Mais "avec les éléments que vous m'avez dits, moi je n'ai pas de doute sur l'altération du discernement".

S'agissant de Rosa da Cruz, qui a déja passé un an en détention depuis sa condamnation en première instance à deux ans ferme, une avocate de partie civile a finalement demandé, si une sanction pénale ne serait pas salutaire, pour faire prendre conscience, pour "ne pas rajouter du déni au déni ?"

"Je ne peux pas avoir de réponse univoque, j'ai vu trop de cas compliqués", a nuancé le practicien, avec ce post-scriptum: "Les affres subies dans cette +double vie+ sont déjà en elles-mêmes une terrible punition. C'est difficile à mesurer".

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