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Saint-Pétersbourg: colère contre le défilé pour célébrer la fin du siège de Leningrad

L'idée semblait bonne: commémorer le 75e anniversaire de la fin du terrible blocus de Leningrad qui, de 1941 à 1944, a fait au moins 800.000 morts. Mais en décidant d'organiser dimanche un défilé militaire, les autorités ont choqué de nombreux habitants de Saint-Pétersbourg.

Les opposants au défilé, qui doit rassembler 2.500 soldats et le légendaire tank T-34 près du musée de l'Ermitage, en plein cœur de Saint-Pétersbourg, soutiennent que cet évènement est un exemple de la propagande militariste menée par les autorités sous Vladimir Poutine.

Pour eux, cette parade insulterait la mémoire de ceux qui ont vécu des horreurs indicibles lorsque Leningrad (aujourd'hui Saint-Pétersbourg) a été assiégée par les nazis pendant 872 jours entre 1941 et 1944.

"Je suis contre le militarisme", explique à l'AFP Iakov Guilinski, 84 ans, un survivant du blocus. La meilleure façon de commémorer cette épreuve serait d'observer une minute de silence, d'organiser des concerts commémoratifs mais pas de glorifier la guerre, assure-t-il. "La guerre, c'est horrible".

- "Carnaval sacrilège" -

L'ancienne capitale impériale de la Russie compte quelque 108.000 anciens combattants et survivants du siège. Alors que la ville comptait trois millions d'habitants avant la guerre, plus de 800.000 personnes avaient succombé à la faim, la maladie ou aux bombes.

Selon de nombreux historiens, ce nombre pourrait être plus élevé. Iakov Guilinski se souvient de détails macabres, comme ce camion rempli de cadavres aperçu par la fenêtre lorsqu'il n'était qu'un enfant.

"Le véhicule les récupérait dans les rues après l'hiver", raconte-t-il.

L'homme fait partie des près de 5.000 signataires d'une pétition appelant les autorités à annuler ce "carnaval sacrilège". Selon la pétition, les autorités n'ont toujours pas dressé la liste complète des morts du siège. Des milliers de militaires qui ont essayé de briser le blocus sont portés disparus et n'ont jamais été enterrés.

L'historien Viatcheslav Krassikov est aussi choqué. Pendant le siège, sa mère a dû partager un lit avec sa petite sœur, décédée, parce que leur mère était trop faible pour l'enterrer. Pour lui, organiser ces festivités militaires est similaire à faire une parade dans les camps de concentration nazis.

"Les tragédies humaines devraient être commémorées différemment", écrit-t-il dans le journal en ligne de Saint-Pétersbourg Gorod-812: "Il est étrange que ces choses simples ne soient pas claires pour certaines personnes."

L'historien Daniel Kotsioubinski reproche lui à Joseph Staline d'avoir abandonné la ville et sacrifié la vie de milliers de soldats avec des tentatives bâclées de briser le siège.

"Organiser un défilé est avant tout immoral pour la mémoire de ceux qui ont péri", assure-t-il à l'AFP, estimant que toute commémoration du siège devrait surtout condamner les autorités de l'époque.

Dans un sondage en ligne réalisé par le site d'informations locales Fontanka auquel 3.000 personnes ont répondu, plus de 50% d'entre eux se sont opposées au défilé. Les autorités de la ville ont refusé de commenter ces résultats.

- "Rituel militaire" -

"Nous avons l'ordre de faire défiler un défilé et nous le ferons", a déclaré à l'AFP un responsable du ministère de la Défense basé à Saint-Pétersbourg sous couvert d'anonymat. "Un défilé militaire est un rituel militaire" et non un évènement festif, a-t-il insisté.

Des chars, des lance-roquettes et de véhicules d'infanterie défileront, tandis que les élèves-officiers porteront les manteaux en peau de mouton et les bottes en feutre portées par les soldats de l'époque.

"Les 'cadets' (élèves-officiers) des temps modernes se feront probablement une bonne idée de ce que représente la défense de la patrie en hiver", a ajouté ce responsable.

Et les survivants du siège ne s'opposent pas tous au défilé. "Une parade ne peut insulter personne", estime Anna Nezvanova, 80 ans, la qualifiant de "symbole" de l'esprit toujours vivant de la ville.

Selon Zinaïda Arsenieva, 84 ans, qui a vécu sous le blocus pendant deux ans, "la ville s'est battue, nous n'attendions pas passivement la mort". "C'est notre victoire commune", ajoute-t-elle.

Au-delà de ce débat, l'analyste militaire Alexandre Golts estime que le défilé illustre surtout la transformation de la Russie en un "État militariste". Le pays organise déjà trois grands défilés militaires annuels, dont le défilé principal du 9 mai et une démonstration de force navale à Saint-Pétersbourg en juillet.

Selon M. Golts, le Kremlin utilise les célébrations de la victoire de l'Union soviétique sur l'Allemagne nazie pour renforcer son statut. "Le souvenir de la tragédie nationale s'est transformé en une performance patriotique optimiste", estime-t-il.

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