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Sans candidat à la mairie, les communes "orphelines" saisies par la peur du vide

"J'ai rangé les dossiers. Je les tiens à la disposition de mon successeur mais il n'y a personne": comme dans une centaine de communes en France, aucun candidat ne veut remplacer le maire sortant de Baubigny (Côte d'Or), plongeant le petit village dans l'incertitude.

Lorsque Patrick Manière a ouvert à l'AFP le portail de la mairie aux allures de maison de poupée, le maire sortant a découvert que la poignée était cassée. "Vous voyez, ça? Qui va s'en occuper maintenant?".

Il n'y a pas que la réparation d'une simple poignée qui restera en suspens quand l'élu de 73 ans rendra sa casquette, après 14 ans à la tête du village bourguignon, blotti entre falaises calcaires et vignes à Grands Crus.

Les huisseries de la petite maternelle, le projet de panneaux photovoltaïques, l'assainissement... Autant de dossiers "orphelins", dit le retraité, car Baubigny (200 habitants "et quelques", selon le maire) compte parmi les 106 communes sans aucun candidat aux municipales, selon le ministère de l'Intérieur. Il y en avait 62 en 2014.

Faute de combattants, le premier tour des municipales, le 15 mars, est annulé, mais pas le second, dans l'espoir qu'une liste se constitue dans l'intervalle.

Dans le cas contraire, une délégation installée par la préfecture gère les affaires courantes pendant trois mois pour tenter de trouver des candidats. Si aucune bonne âme ne se présente, la commune est dissoute et fusionnée avec une autre.

"Les habitants vont se sentir comme orphelins", avertit M. Manière, car "les gens sont encore attachés au maire". "Ils veulent absolument avoir un élu référent auprès duquel ils peuvent s'épancher: des problèmes de couple, de chiens qui viennent crotter devant la porte... On compte sur nous".

Mais cela "demande du temps": "bien une trentaine d'heures par semaine. Et pour 540 euros par mois". Or "les gens privilégient maintenant leur activité professionnelle", regrette le maire sortant. Ainsi, aucun des neuf conseillers municipaux sortants ne se représente.

- "C'est usant" -

"Je n'ai pas le temps", confirme le premier adjoint, François Rocault, 62 ans. "Je suis vigneron. J'ai des chambres d'hôtes et je veux passer du temps avec mes petits-enfants", dit-il en taillant ses vignes de pinot noir que caressent de timides rayons de soleil hivernal.

"Dans une petite commune, on fait tout. C'est prenant. Vous devez être mécanicien, psychologue, conseiller financier. J'ai même dû sauver une Norvégienne qui voulait se suicider".

Le maire du XXIe siècle se retrouve de plus seul face à des dossiers "de plus en plus complexes", surtout pour un "petit maire qui n'est pas entouré de conseillers comme dans les grandes communes", rappelle Patrick Manière.

L'élu a ainsi dû apprendre par lui-même quand il a fallu sécuriser la falaise qui menaçait de s'effondrer sur le village. "Je n'y connaissais rien. J'ai dû beaucoup chercher", se souvient-il.

Pierre-Pascal Piacentini, à la tête de Crocicchia, en Haute-Corse, trouve lui aussi que, "aujourd'hui, le maire doit tout faire". "C'est usant", confirme l'élu de ce village de 70 habitants, également sans candidat.

"Dans le rural, il y a une pression sur le maire pour tout faire", explique-t-il à l'AFP, se souvenant avoir été appelé "pour dépanner une antenne télé", "ouvrir une bouteille de vin chez une personne âgée", "déneiger devant les portes"...

"On est seul face à des démarches administratives, des dossiers compliqués", selon l'entrepreneur en bâtiment qui dit avoir consacré deux jours par semaine à la mairie.

La technicisation de la fonction fait "peur", souligne M. Rocault, et le maire, jadis notable respecté, est lui aussi victime de la défiance envers le politique.

"Les fonctions locales sont certes beaucoup mieux perçues", analyse Bruno Cautrès, chercheur au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof, Paris).

Ainsi, "63% des Français font confiance aux maires" (contre 27% pour le gouvernement), dit-il, citant le dernier baromètre d'OpinionWay pour le Cevipof. "Mais ce n'est quand même pas 80%" d'opinions favorables, nuance-t-il. "La fonction de maire attire moins", conclut le politologue.

"Avant, il y en avait, des candidats", se désole Patrick Manière. "Mais, pour l'instant, mes dossiers vont rester chez moi".

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