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Un crématorium prévu aux portes de Paris ravive le sentiment de "mépris" envers la banlieue

A sa porte, plutôt qu'au cœur de Paris: le choix d'installer un crématorium en lisière de Pantin et Aubervilliers est vécu par élus et riverains comme une nouvelle preuve du "mépris" de la capitale envers la banlieue, qui accueille déjà la plupart de ses morts.

La décision a été actée en décembre dernier: un "parc funéraire" de 3.000 mètres carrés ouvrira en 2022 porte de la Villette, au nord-est de la capitale, pour seconder le seul crématorium de Paris situé au Père-Lachaise dépassé par une demande croissante.

L'an dernier, 6.200 crémations ont eu lieu dans le célèbre cimetière de l'est parisien, dont la capacité théorique n'est que de 4.500. "Nous devons régulièrement orienter des familles vers d'autres équipements" en dehors de Paris, regrette l'adjointe à la mairie de Paris chargée du dossier, Pénélope Komitès.

Le futur crématorium - un édifice de deux étages prévu pour 2.500 crémations par an, avec columbarium et "jardin du souvenir" - sera aux confins de Paris: au square Forceval, un espace vert sans charme coincé entre le périphérique et un centre des congrès bordé de voies ferrées.

Le site a été sélectionné parmi une douzaine d'autres après trois ans de travail, explique la mairie de Paris, qui promet un "très beau bâtiment" et une "véritable revalorisation de l'entrée de ville".

L'aménagement actuel n'est pas encore à la hauteur des ambitions du "Grand Paris": comme nombre d'accès à la capitale, la porte de la Villette est congestionnée, inhospitalière pour les passants... Et le périphérique y matérialise toujours autant la frontière entre Paris et sa banlieue.

L'arrivée du crématorium dans ce décor fait grincer: les plus proches voisins de l'installation ne seront pas Parisiens, mais habitants des communes populaires de Pantin et Aubervilliers (Seine-Saint-Denis).

Les maires respectifs, Bertrand Kern (PS) et Meriem Derkaoui (PCF), ont appelé la maire de Paris Anne Hidalgo (PS) à "renoncer" à cette décision, réclamant dans un communiqué commun "plus d'ambition et de respect" pour leurs villes.

- Riverains "dégoûtés" -

Les deux élus redoutent le surplus de trafic routier dans ce secteur parmi les plus pollués de France. En outre, estiment-ils, "installer un lieu de crémation entre le périphérique et les voies ferrées n'est pas le meilleur moyen de permettre un deuil digne et serein".

Disperser des cendres dans cet environnement "me paraît une hérésie", résume Bertrand Kern à l'AFP.

"En 2009, on voulait déjà nous mettre une déchetterie mais on a fait barrage. A Paris, on se dit +Là-bas on peut mettre ce qu'on veut car les voisins directs ne sont pas des électeurs+. C'est pour ça qu'ils ont renoncé au site initialement annoncé dans le XVe" arrondissement (sud-ouest de Paris), analyse-t-on à la mairie d'Aubervilliers, qui entend lancer une pétition à la rentrée pour dénoncer ce "mépris".

Installé depuis près de vingt ans à Pantin, Olivier Pousset est "révolté" et "dégoûté". Ce membre du "collectif Forceval" ironise: pour lui aussi la "Ville lumière" a choisi ce site "parce qu'il n'y a pas de Parisiens autour".

A Paris, les élus écologistes avaient plaidé pour une installation dans le sud ou l'ouest de la capitale dans un souci de rééquilibrage, avant de se rallier au projet de la porte de la Villette.

"Il faudrait, sur ce type d'équipements, une concertation métropolitaine", concède David Belliard, président du groupe écologiste. "Mais il est important d'avoir des gestes architecturaux près du périphérique, à l'image de la Philharmonie (salle de concerts imaginée par Jean Nouvel, porte de Pantin, ndlr). Cela peut être un bénéfice pour Pantin et Aubervilliers."

En guise d'alternative, Bertrand Kern a suggéré que le futur crématorium soit installé à Pantin, au sein du plus grand cimetière de France, déjà géré par Paris comme cinq autres cimetières extra-muros construits par la capitale depuis le XIXe siècle face à la hausse de la population. Ces sites abritent près de trois fois plus de concessions (près de 320.000) que les sites intra-muros (115.000).

Paris a refusé la proposition, les places pour les inhumations étant précieuses pour ses plus de 2,2 millions d'habitants: en 2017, près de 2.400 inhumations ont eu lieu intra-muros, le double extra-muros. Pénélope Komitès reconnaît d'ailleurs que nombre de ces défunts "auraient préféré se faire enterrer à Paris".

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