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Une BD raconte Goscinny et sa fille, un double portrait intime et émouvant

Ses origines juives, ses proches assassinés à Auschwitz, ses échecs professionnels avant les succès planétaires: René Goscinny, scénariste d'Astérix, Lucky Luke et du Petit Nicolas, se retrouve à son tour au centre d'une bande dessinée, un portrait intime dont la narratrice principale est sa fille Anne.

Dans "Le roman des Goscinny" (Grasset), l'auteure française Catel Muller, alias Catel, raconte d'ailleurs tout autant la vie d'Anne Goscinny que celle de son illustre père (1926-1977), mort brutalement lors d'un test d'effort chez son cardiologue alors qu'elle n'avait que 9 ans.

Le récit commence dans le cabinet de ce cardiologue parisien, où Anne se rend à 18 ans sous une autre identité et menace, en mimant le port d'un pistolet sous son manteau, celui qu'elle accuse d'avoir "massacré son enfance".

Quelques années plus tard cette fille unique perd aussi sa mère, des suites d'une longue maladie, se retrouvant seule à la tête de "l'héritage colossal" d'un des plus grands noms de la BD, explique Catel lors d'une rencontre avec des journalistes à Bruxelles.

Ce destin poignant et "tout aussi, voire plus romanesque celui du père" convainc en 2014 la dessinatrice de se lancer dans "un double portrait" des Goscinny... En faisant parler alternativement Anne et René d'un chapitre à l'autre.

Le projet met cinq ans à aboutir car le travail de synthèse est titanesque. Un millier de pages sont nécessaires pour retranscrire les innombrables interviews.

"Anne m'a fait une confiance absolue, elle m'a donné tous les trésors, sans rien me demander en échange", dit Catel, connue pour ses biographies dessinées de femmes célèbres (Olympe de Gouges, Joséphine Baker), en duo avec le scénariste José-Louis Bocquet.

Résultat: les 330 pages regorgent d'anecdotes sur le monde de la BD de l'après-guerre, tout en abordant des aspects méconnus --et dramatiques-- de la vie de René Goscinny.

L'imprimerie parisienne de la famille de sa mère, des juifs ayant fui les pogroms d'Ukraine au début du XXe siècle, est saisie par le régime de Vichy. Deux oncles et un cousin de 16 ans sont déportés et meurent à Auschwitz en 1942.

- "Meurtri au plus profond" -

"Mon père ne s'exprimait pas sur ce qui était trop douloureux ou trop intime", mais était "viscéralement juif, meurtri au plus profond", raconte Anne Goscinny dans un chapitre consacré à la guerre 39-45.

René, son frère aîné et ses parents vivent à cette époque en Argentine, où son père Stanislas, né dans une famille de juifs polonais émigrés en France, travaille comme ingénieur-chimiste et s'occupe parallèlement de l'implantation de colonies juives.

Ce dernier meurt prématurément fin 1943. René a 17 ans. L'adolescent, passionné par le dessin et qui noircit des carnets de croquis depuis l'entrée au collège, va devoir travailler pour aider sa mère.

Aide-comptable, dessinateur de pub, interprète dans l'import-export: les petits boulots s'enchaînent, notamment lors de sa période new-yorkaise (1945-50), sans que ses dessins à l'humour second degré ne séduisent les éditeurs.

C'est l'époque des rencontres clés (les Belges Joseph Gillain, dit Jijé, et Morris, à l'origine de Lucky Luke), mais il faut du temps pour que Goscinny bascule vers l'écriture de scénarios, le domaine où son talent sera finalement reconnu.

Celui qui voulait avant tout "se marrer et faire marrer" a été "vraiment persévérant dans sa quête", souligne Catel.

En 1951, la rencontre à Paris avec le dessinateur Albert Uderzo, fils d'émigrés italiens, marque un tournant.

En duo, ils s'exercent d'abord sur plusieurs personnages (le peau-rouge Oumpah-Pah, Jehan Pistolet) qui plaisent à la presse belge, avant de trouver l'idée de la petite tribu de Gaulois avec leurs noms terminant tous en "ix".

Le chef est baptisé "Astérix". Cette initiale "A", rigole Goscinny dans le livre, fournit "un avantage indéniable pour les classements alphabétiques des futures encyclopédies de la BD".

En 1959, Astérix fait sa première apparition dans le journal Pilote. Soixante ans plus tard, le compteur affiche 380 millions d'albums vendus dans le monde dans toutes les langues.

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