Accueil Actu

Venezuela: internet, bouée de sauvetage d'une presse indépendante en crise

Acculée par une "politique systématique" de pression, ruinée par la chute des recettes publicitaires et en manque de papier pour imprimer, la presse vénézuélienne indépendante pâtit de la pire crise de l'histoire du pays et tente de survivre sur internet malgré un réseau peu performant.

"De toute façon, nous n'allions pas y échapper", constate Jorge Makriniotis, gérant d'El Nacional, prestigieux quotidien de Caracas qui après 75 ans a décidé le 13 décembre d'arrêter ses rotatives, faute de papier.

Désormais, El Nacional est uniquement disponible sur internet, comme une multitude d'autres journaux vénézuéliens qui n'ont plus les moyens de payer les précieux rouleaux.

La raison est certes économique, mais aussi politique, souligne le directeur de l'ONG Espacio Publico, Carlos Correa.

En 2013, le gouvernement chaviste a décidé de regrouper l'importation et la distribution du papier au sein d'une seule entreprise. "Un monopole", dit Carlos Correa, qui a généré "une dynamique discriminatoire". En clair, l'entreprise décide à quelle publication elle destine le papier. Depuis 2013, 58 quotidiens ont cessé de paraître, selon M. Correa.

Face aux interrogations de la presse au sujet du manque de papier, "il n'y a jamais eu de réponse officiel", souligne Gisela Carmona, directrice de El Impulso, un journal régional qui a cessé de sortir en version imprimée en février 2018.

Dans un récent rapport, la Haut-commissaire aux droits de l'homme de l'ONU Michelle Bachelet a d'ailleurs épinglé l'"hégémonie" du gouvernement de Nicolas Maduro dans le domaine des médias.

Ceux des journaux qui ont pu se le payer ont donc migré en masse vers internet, à l'instar d'El Nacional.

Pour se reconvertir dans le "tout web", El Nacional a investi plus d'un million de dollars. De toute manière, se console Jorge Makriniotis, un anti-Maduro déclaré, la version papier du quotidien "n'était pas rentable".

-"On n'est plus au courant de rien"-

Mais pour cette presse qui se veut indépendante du pouvoir, la partie est aussi compliquée par la "politique systématique" de pression, s'alarme le Syndicat national des travailleurs de la presse.

Pour preuve: en 2015, El Nacional a perdu un procès intenté par Diosdado Cabello. Le numéro deux du chavisme reprochait au journal d'avoir reproduit des articles de la presse espagnole qui l'accusait de narcotrafic.

La crise économique est aussi passée par là, qui a fait chuter vertigineusement les recettes tirées de la publicité. Cabossée par la chute des cours du pétrole, une hyperinflation qui devrait atteindre 10.000.000% cette année, selon le FMI, l'économie vénézuélienne a plongé.

Chez Panorama, le grand quotidien de Maracaibo, deuxième ville du Venezuela, la dégringolade des recettes, ajoutée aux problèmes du papier et aux coupures de courant a obligé la direction à arrêter les rotatives le 14 mai dernier.

Dans la salle de rédaction désormais pratiquement vide, la gérante Marinès Delgado explique que la direction n'a pas eu à licencier un seul journaliste. Eux aussi victimes de la crise, ils ont démissionné un à un pour émigrer. "Quand on en remplaçait un, un autre annonçait qu'il partait", se remémore-t-elle.

Bien évidemment, pour les lecteurs de Panorama, la fin du journal papier a été un coup dur. Entre les coupures de courant et une couverture internet approximative, difficile de lire le quotidien sur écran.

"Maintenant, on n'est plus au courant de rien", se lamente Belkis Nava, ancienne lectrice de Panorama.

Car internet sur les mobiles est très lent au Venezuela. D'après l'Institut Presse et Société (Ipys), le débit moyen est de "0,9 mégabit par seconde, soit une vitesse quatre fois moindre que la moyenne en Amérique latine".

Et, selon la société publique Conatel, le nombre de Vénézuéliens dotés d'un smartphone est tombé de 13,2 millions en 2015 à 12 millions en 2018.

Un handicap qui n'a pas empêché des journalistes vénézuéliens de créer leurs propres médias directement sur internet, à l'instar d'El Pitazo.

Le site est fortement orienté vers l'enquête journalistique et il a remporté cette année le prestigieux prix Ortega y Gasset du quotidien espagnol El Pais.

Ne pouvant uniquement compter sur les recettes publicitaires, El Pitazo a misé sur le "crowdfunding" - le financement participatif- ce qui lui a permis de "se maintenir", comme l'explique son directeur Cesar Batiz.

Mais, comme d'autres sites, El Pitazo a été la cible de cyber-attaques, par quatre fois en deux ans.

À lire aussi

Sélectionné pour vous