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"Gilets jaunes": "un durcissement très violent" de la politique sécuritaire, dénonce l'avocat Patrice Spinosi

Les mesures de l'exécutif après les violences lors de l'acte 18 des "gilets jaunes" samedi à Paris marquent un "durcissement très violent" de la politique du gouvernement avec un "risque accru" d'atteintes à la liberté de manifester, dénonce Me Patrice Spinosi, avocat spécialisé dans la défense des libertés publiques.

QUESTION: Vous avez dénoncé la loi "anticasseurs", que vous inspirent les dernières mesures du gouvernement?

RÉPONSE: Cela marque un durcissement très violent et une radicalisation dans la gestion des manifestations qui est amorcée par le gouvernement avec un risque certain pour les libertés individuelles des manifestants. On voit qu'il y a un besoin de réaction, donc il y a un effet d'annonce en affirmant un changement de politique de la gestion des débordements.

Au final, qu'est-ce qu'il résultera des interdictions de manifester dans certains lieux? On a déjà vu lors des différents épisodes des "gilets jaunes" à quel point c'est inutile. Bloquer les Champs-Elysées n'empêchera certainement pas les manifestants d'aller dans d'autres endroits limitrophes. Et je ne crois pas qu'en annonçant que les forces de police vont être particulièrement répressives, on décourage qui que ce soit, tout au contraire.

Il y a une volonté d'affirmer et de montrer que l'Etat se prétend fort. Mais le plus souvent, la répression n'est jamais qu'une démonstration de faiblesse face à une situation qui manifestement échappe au gouvernement.

Q: Ces mesures impliquent-elles des modifications législatives?

R: Il n'y a rien dans les propos du Premier ministre qui laisse croire qu'il y aurait une modification de la loi ou de l'état du droit. Il y a uniquement l'utilisation des dispositions applicables, avec une certaine préfiguration de la loi anticasseurs, qui est actuellement soumise au Conseil Constitutionnel.

Le principe de l'interdiction de manifester dans certains quartiers spécifiquement désignés a toujours été possible, ce n'est pas une nouveauté du droit.

La loi anticasseurs prévoit de passer d'une simple contravention pour une participation à une manifestation non autorisée à un délit passible d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à six mois. Passer d'une contravention de première classe actuellement à une contravention de quatrième classe serait peut-être une étape intermédiaire avant l'entrée en vigueur de la loi ou pour se prémunir d'une éventuelle censure de la loi sur ce point.

On est dans la continuité juridique de ce qui a été fait, avec une intensification de la répression qui est affirmée par le Premier ministre et une plus grande latitude donnée aux forces de police pour aller au contact des manifestants, alors que la doctrine du maintien de l'ordre en France est d'éviter le contact.

Q: Quels pourraient être les effets de cette nouvelle doctrine du maintien de l'ordre?

R: Tout le monde est d'accord pour réagir, maîtriser les casseurs et laisser les manifestants pouvoir manifester. Le problème est qu'il est évidemment toujours très difficile pour les forces de l'ordre de faire la part des choses. Et on voit bien comment dans un climat d'exaspération qui est aujourd'hui le nôtre, à partir du moment où on lâche la bride des forces de l'ordre il y a forcément un risque que cela touche des personnes qui ne sont pas des casseurs, mais simplement des manifestants venus exercer un droit légitime.

C'est une application de la doctrine du maintien de l'ordre beaucoup plus répressive de ce qui a été fait jusqu'à présent, avec un risque accru d'atteinte aux libertés individuelles, un risque accru de bavures, un risque accru de violences policières.

Propos recueillis par Anne-Sophie Lasserre.

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