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"Ne pas oublier": une classe de 3e revient sur la mort de Samuel Paty

"Ça m'a marquée pendant plusieurs mois, j'ai eu peur pour mon prof d'histoire": Juliette, élève de 3e au collège Henri-Matisse de Nice, est revenue mardi en cours d'instruction civique sur la mort de Samuel Paty. Un an après, elle n'a pas oublié.

Il est 14h00. Quelques cris venant du mur d'escalade dans la cour en contrebas remontent par les fenêtres entrebâillées. Sans bruit, les élèves prennent place. Devant eux, Véronique Triaille, professeur d'histoire-géographie "et d'éducation morale et civique", insiste-t-elle.

Sur le tableau est projetée une photo de Samuel Paty, à qui ce collège public d'un millier d'élèves situé dans le quartier privilégié de Cimiez, sur les hauteurs de Nice, rendra hommage vendredi par une minute de silence.

"Ça reste indispensable de ne pas oublier", débute l'enseignante qui lance la discussion sur la laïcité et les valeurs de la République en demandant aux collégiens ce qui "leur vient à l'esprit" quand on évoque l'assassinat du professeur d'histoire.

"C'est un prof qui a montré des caricatures à ses élèves", commence Darius, au premier rang. "Ça représentait le prophète Mahomet, ça pouvait paraître comme une insulte", poursuit Lou.

"Pour certains, cela pouvait être considéré comme un blasphème", explique la professeur: "Mais dans la loi française, le blasphème ça n'existe pas".

"C'est la liberté d'expression", ajoute Darius, le doigt levé depuis un moment. "Cette liberté d'expression, elle touchait un domaine sensible, celui de la religion, d'où cette notion de laïcité", recadre Mme Triaille.

Pendant près d'une heure, dans une salle de classe lumineuse où trônent sur les murs la Déclaration des droits de l'Homme de 1789 ou une frise sur l'histoire des Républiques françaises, les élèves ne se font pas prier pour participer, encouragés par l'enseignante, chemisier et pantalon noir. Et le débat reste calme.

- La tête, "c'est le savoir" -

"Est-ce que vous trouvez que c'est important ce qu'on est en train de faire ?", interroge-t-elle. "Oui, c'est pour éviter que ça se reproduise dans le futur", répond Gwenn.

Aucune question n'est éludée. "Comment est-il mort ?" "Il a été décapité", ajoute l'élève. "C'est assez barbare", renchérit sa voisine.

"Ce que symbolise la décapitation?" La tête, "ça représente le savoir", avance Juliette. Et l'enseignante de citer Victor Hugo, pour qui "la liberté commence là où l'ignorance finit".

Ces thèmes complexes de la liberté d'expression, de la laïcité dans l'espace public ou du vivre ensemble, la classe ne les découvre pas. Au lendemain de la mort de Samuel Paty, ces mêmes élèves, alors en 4e, avaient "réinterprété" le tableau de Delacroix, "La Liberté guidant le peuple", ou réalisé des illustrations affichées dans les couloirs, témoignent Valentine et Ranya.

Au même moment, au rectorat de Nice, dans le cadre d'un plan national sur quatre ans, se déroule une session "laïcité-valeurs de la République", destinée à une cinquantaine de formateurs et référents, en majorité des enseignants, qui interviennent déjà dans les écoles, collèges et lycées de l'académie pour former l'ensemble des personnels à ce sujet.

15h00, la sonnerie libère la classe, qui file en cours de maths.

"Pour des élèves de 14 ans, ils ont utilisé les bons mots", réagit l'enseignante, saluant leur "maturité": l'objectif était de faire "réémerger ce drame un an plus tard, mais aussi de reposer les vraies valeurs".

La mort de son collègue du collège de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) l'a-t-elle fait changer ses méthodes ? "La réflexion, bien sûr, on l'a tous eue, comment enseigner les valeurs de la République, la laïcité, cette tolérance".

"Mais je ne m'autocensure pas, mes pratiques sont quasi restées les mêmes", assure-t-elle: "Je ne me suis jamais autocensurée, je ne le ferai pas, cela fait partie de ma liberté pédagogique, j'y suis attachée. Les parents me font confiance et ma direction me fait confiance depuis 30 ans pour cela".

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