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A Bagdad, l'haltérophilie se conjugue aussi au féminin

Dans une salle vétuste du quartier populaire de Sadr City, dans la banlieue Est de Bagdad, elles soulèvent des poids bien plus lourds qu'elles: c'est littéralement à la force de leurs bras que les huit membres de l'équipe féminine irakienne d'haltérophilie font vivre leurs familles.

Tous les jours, pendant trois heures, elles s'entraînent dans la petite salle où l'immense drapeau irakien peint sur l'un des murs peine à cacher les ravages du temps et du manque d'entretien, n'interrompant que pendant quelques minutes de récupération leur travail de force.

Quand, en 2011, Abbas Ahmed a été appelé par la Fédération pour former une équipe féminine, "ça n'a pas été dur, ça a été très très dur".

Il a fallu batailler "contre la société qui refusait l'idée", notamment dans ce quartier qui est un bastion chiite de l'est de Bagdad, et contre l'absence de filles dans le monde de l'haltérophilie en Irak, raconte cet Irakien de 54 ans, ancien entraîneur chez les hommes.

- 'Payer le loyer' -

Mais il a aussi fallu composer avec le manque de moyens et d'infrastructures, poursuit-il, assurant qu'aucune instance officielle n'a dédié de fonds à l'haltérophilie féminine.

Pour recruter, M. Ahmed a approché plusieurs familles. Il a visé en priorité les amoureux du sport en se disant qu'ils comprendraient mieux.

C'est la famille de Huda Salim Al-Saedi qui a répondu positivement en premier. Cette Irakienne de 20 ans s'entraînait depuis l'âge de huit ans au Taekwondo.

"A ceux qui disent que l'haltérophilie ce n'est pas pour les filles, je leur dis qu'on peut faire tout ce que font les hommes, il n'y a aucune différence", lance cette jeune femme aux sourcils élégamment dessinés.

"Je défie les hommes aux haltères et j'en suis fière", poursuit-elle dans un sourire, en secouant ses mains recouvertes de magnésite.

Huda, la première haltérophile de Sadr City et la plus prometteuse, est désormais le pilier de l'équipe. Elle a même entraîné à sa suite sa soeur cadette Hadeel, 17 ans.

L'année dernière, toutes deux se sont envolées pour participer à des compétitions asiatiques où elles n'ont pas démérité.

Dans sa catégorie des moins de 90 kg, Huda a notamment décroché une médaille de bronze dans l'épreuve "snatch" au Championnat d'Asie d'haltérophilie, au Turkménistan, et a fini 1ère du classement général du Championnat d'Asie junior, au Népal, où concourait aussi sa soeur.

La jeune Hadeel a elle terminé à la 10e place générale de ce Championnat d'Asie junior, dans la catégorie des moins de 58 kg. Elle s'est aussi classée 4e dans une autre compétition à Katmandou, réservée aux plus jeunes (Asian Youth Championships).

Mais plus que la gloire, ce que recherche Huda, c'est la sécurité de l'emploi. "Grâce à l'haltérophilie, dit-elle, j'ai un salaire et de quoi pourvoir aux besoins de ma famille tous les mois", explique-t-elle.

Le salaire de sa soeur est aussi venu rendre les fins de mois moins pénibles pour toute la famille.

Aux huit haltérophiles, le club al-Chorta, qui parraine l'équipe, assure un salaire mensuel allant de 400 à 800 dollars.

"Cela a joué un rôle fondamental pour permettre aux filles de continuer à pratiquer leur sport tout en pourvoyant aux besoins" de leurs proches, assure M. Ahmed.

Dans la famille, assure le père de Huda et Hadeel, sans les salaires de ses filles, le loyer de près de 330 dollars ne pourrait pas être payé tous les mois.

Chez Khadija Ismaïl Abdullah aussi, on compte sur les poids et autres haltères pour survivre. "La moitié de mon salaire part chaque mois dans le loyer", explique l'haltérophile de 20 ans, vêtue du T-shirt vert d'al-Chorta.

- 'Persévérance et détermination' -

Loujain Hazem, 15 ans, a abandonné ses études pour se concentrer sur le sport. L'an dernier, elle a remporté une médaille d'argent au Championnat d'Asie de l'Ouest, en Jordanie.

"Notre entraîneur nous a appris la détermination et la persévérance, je suis sûre que nos efforts vont payer, en termes de sport mais aussi d'argent", lance-t-elle à l'AFP.

L'équipe irakienne d'haltérophilie a en tout cas déjà conquis Sadr City, assure le père de Huda et Hadeel, assis sur un banc en fer d'où il distribue régulièrement des encouragements. "Avec le temps, tout le monde ici a fini par les soutenir. Elles sont accueillies en héros à chaque retour de compétition", jure Salim Noama.

La future génération se prépare déjà. Roqaya Ahmed, 12 ans, oblige tous les jours son père à enfourcher sa motocyclette. Après l'école, ils se faufilent tous les deux au milieu des embouteillages bagdadis pour rejoindre Sadr City.

Depuis la petite salle, Roqaya rêve en grand: "j'espère un jour participer aux jeux Olympiques", dit cette fillette menue, les cheveux remontés en un imposant chignon.

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