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A Gaza, l'amertume des fonctionnaires sans salaire avant l'Aïd el-Fitr

L'Aïd el-Fitr aura cette année un goût amer pour Hani al-Laham, sa femme et leurs trois enfants, assis à la fin d'une journée de jeûne à la table du dîner dans un logement de fortune de Gaza.

Hani al-Laham n'a pas perçu son salaire depuis des mois. Lui et sa famille ont été expulsés faute de pouvoir payer le loyer et vivent dans une cabane en bord de mer. La municipalité menace maintenant de les évincer, l'abri ayant été construit sans permis.

Autrefois, Hani al-Laham recevait chaque mois 1.700 shekels (402 euros) versés par l'Autorité palestinienne, pour un travail dans les services de sécurité qu'en fait, il n'exerçait plus.

La semaine dernière, il a enfin perçu à nouveau une partie de son salaire, juste avant l'Aïd al-Fitr, la fête musulmane qui marque la fin du ramadan, mais le pécule ne suffit même pas aux dépenses les plus pressantes.

"S'ils me versent mon salaire, je vais louer un appartement. Je suis épuisé par cette vie, c'est une catastrophe! Gaza est en train de s'effondrer", dit-il à l'AFP.

"Où devons-nous aller? On doit s'immoler?", renchérit sa femme, Nour, 33 ans, serrant ses enfants contre elle.

Comme Hani al-Laham, 60.000 Palestiniens de Gaza sont censés percevoir un salaire versé par l'Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas. La majorité sont des travailleurs fantômes: en conflit avec le mouvement islamiste Hamas qui dirige la bande de Gaza, l'Autorité palestinienne leur ordonne de ne pas se rendre au travail. Mais, depuis mars, elle a arrêté de payer, sans aucune explication.

L'Autorité palestinienne, internationalement reconnue, et le Hamas, largement ostracisé à l'étranger, sont à couteaux tirés. Le Hamas a remporté les élections parlementaires de 2006, une victoire choc que la communauté internationale a refusé de reconnaître.

Après des combats fratricides, le Hamas a pris le contrôle de Gaza en 2007 et évincé l'Autorité palestinienne qui exerce un pouvoir limité sur des fragments de Cisjordanie occupée.

- Au bord de l'explosion -

Percevant un salaire sans pouvoir travailler, coincés dans l'enclave sous blocus israélien et égyptien, où le taux de chômage avoisine les 45%, les fonctionnaires, dont les juges, les médecins et les employés des ministères, n'ont d'autre choix que d'attendre que cette situation kafkaïenne se dénoue.

Déjà en 2017, l'Autorité palestinienne a réduit les salaires des fonctionnaires gazaouis de 30%, avant de couper le robinet en mars.

Début avril, Mahmoud Abbas s'est engagé à rétablir la situation. Une promesse restée lettre morte.

Le 5 juin, seule la moitié de leur salaire mensuel a été versée aux Gazaouis, en prévision de l'Aïd, qui doit être célébré vendredi. Rien n'a été annoncé sur les arriérés de salaires restants.

Officiellement, l'Autorité invoque des problèmes "techniques" mais elle fait face à des problèmes de trésorerie. Par ailleurs, ne pas payer ces fonctionnaires, qui font vivre des dizaines de milliers de personnes, pourrait être un moyen de pression sur le Hamas.

Dimanche, dans un rare mouvement de mobilisation publique, des milliers de Palestiniens ont manifesté à Ramallah, où siège l'Autorité palestinienne, pour exiger le versement des salaires des fonctionnaires à Gaza.

L'ONU a averti que Gaza, avec ses deux millions d'habitants, pourrait à nouveau exploser. Le Hamas et Israël se sont livré trois guerres depuis 2008.

- "Vie humiliante" -

Le territoire palestinien sous pression est le théâtre depuis le 30 mars de manifestations et de heurts le long de la frontière avec Israël. Au moins 129 Palestiniens ont été tués depuis par des tirs israéliens.

Sabera Abou Ali, 67 ans, souffre d'une insuffisance rénale, mais ne peut plus payer pour ses soins.

"Je vais trois fois par semaine à l'hôpital Shifa (à Gaza) pour une dialyse. Je n'ai même pas les 30 shekels (7,11 euros) nécessaires pour payer les transports tous les jours".

"Comment as-tu pu nous abandonner, Abou Mazen?", se lamente-t-elle, utilisant un surnom de M. Abbas.

Yasser, un fonctionnaire du ministère de la Santé, a fait ses calculs: s'il recevait enfin son salaire, une fois son crédit, ses factures de téléphone et d'électricité payés, il ne lui resterait plus que 75 shekels.

"J'ai des dettes au supermarché, au magasin de légumes, à la pharmacie, des frais à payer à l'université pour ma fille et à l'école pour mon dernier", explique-t-il.

A cause de ses soucis financiers, il affirme que sa femme l'a quitté pour retourner vivre chez ses parents, avec leurs enfants. "Mieux vaut se suicider plutôt que de mener cette vie humiliante".

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