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A Gaza, particuliers et entrepreneurs endettés se bousculent en prison

Les yeux de Sameh al-Madhoun se remplissent de larmes quand il raconte comment lui qui était autrefois un vendeur d'automobiles prospère de la bande de Gaza se retrouve aujourd'hui en prison pour dettes.

Ce quadragénaire gazaoui n'est que l'un des nombreux visages de la dépression économique dans laquelle s'enfonce l'enclave palestinienne, coincée entre Israël, l'Egypte et la Méditerranée.

Effet direct du conflit avec Israël et des réalités politiques palestiniennes, la crise qui frappe le territoire depuis des années s'aggrave au point de faire craindre à l'ONU un "effondrement total".

Quelque 42.500 mandats d'arrêt ont été émis en 2017 contre des Gazaouis pour défaut de paiement, selon la police du Hamas, le mouvement islamiste qui dirige le territoire depuis 2007. C'est 38% du total des poursuites engagées, précise-t-elle.

Environ 600 personnes sont actuellement en prison pour impayés, ajoute-t-elle. Parmi elles figurent de nombreux chefs d'entreprises de toutes tailles, d'après la chambre de commerce.

A 40 ans, Sameh al-Madhoun raconte avoir vendu presque tout ce qu'il avait, y compris sa maison et une partie de ses voitures, pour rembourser ses trois millions de dollars de dettes.

"J'en ai réglé la moitié. Je ne sais pas comment je vais payer le reste", confie-t-il à l'AFP dans sa cellule. "Tout ce qui me reste, ce sont des dettes".

Derrière les barreaux depuis septembre, il bénéficie de deux jours de sortie par semaine pour voir ses quatre jeunes enfants.

- Les importations chutent -

L'AFP l'a rencontré en prison, grâce à une autorisation du Hamas, et l'a suivi au siège de son ancienne entreprise, où quelques voitures invendues prennent la poussière.

"Le marché s'est effondré. Les prix ont chuté mais il n'y a plus de clients", se désole-t-il.

"A ce train-là, toutes les entreprises de Gaza vont y passer", résume-t-il.

Le volume de marchandises importées a diminué de 50 à 60% durant les sept derniers mois, disent des responsables des douanes.

L'économie de Gaza, où vivent deux millions de Palestiniens, est "mourante", diagnostique Maher Tabba, un responsable de la Chambre de commerce de Gaza.

La valeur des chèques sans provision a atteint 112 millions de dollars l'an dernier, contre 62 et 37 millions les deux années précédentes, détaille-t-il.

Devant l'acuité du mal, le bureau du procureur général a annoncé récemment accorder un délai supplémentaire d'un mois aux débiteurs pour payer leurs dettes.

Emprisonner les mauvais payeurs reste une pratique répandue à Gaza alors qu'elle est désormais proscrite dans de nombreux pays.

Les mises en garde se multiplient devant la détérioration des conditions dans le territoire, éprouvé par les guerres, la pauvreté, le chômage, les blocus israélien et égyptien et les pénuries d'électricité, d'eau et de médicaments.

- Au bord de l'asphyxie -

Israël impose depuis 2007 un rigoureux blocus terrestre, aérien et maritime à la bande de Gaza pour contenir le Hamas, l'un de ses grands ennemis, auquel il a livré trois guerres. L'autre voisin, l'Egypte, maintient sa frontière fermée quasiment en permanence et a détruit après 2013 des centaines de tunnels de contrebande, asphyxiant encore davantage l'économie gazaouie.

L'effort de réconciliation entre le Hamas et l'Autorité palestinienne internationalement reconnue avait fait espérer une embellie en 2017, après des années de divisions considérées comme un autre facteur de l'anémie gazaouie. Non seulement cette entreprise est enlisée, mais elle s'est traduite par de nouvelles épreuves pour les Gazaouis.

L'Autorité palestinienne a réduit les salaires de ses fonctionnaires à Gaza. Le Hamas a cessé dans une large mesure de rémunérer les siens. Des dizaines de milliers d'employés qui font vivre tant de Gazaouis ont du mal à joindre les deux bouts.

Le chef d'état-major israélien Gadi Eisenkot lui-même aurait mis en garde son gouvernement contre le danger d'un nouveau conflit si les conditions humanitaires continuent à se dégrader à Gaza.

Un autre entrepreneur emprisonné depuis novembre rapporte que ses 35 salariés ont perdu leur emploi quand son entreprise a fait faillite.

"J'ai perdu l'an dernier tout ce que j'avais réalisé depuis la création de mon entreprise en 2002. Mes dettes ont atteint plus d'un million et demi de dollars", dit-il sous le couvert de l'anonymat.

Pas d'espoir en des jours meilleurs sans solution politique, dit-il.

"Tant qu'il n'y aura pas de stabilité politique, il n'y aura pas de sécurité économique et le marché ne se redressera pas", prédit-il.

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