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A Ivry, Madeleine Delbrêl met d'accord l'Eglise et les communistes

Elle n'est pas encore "sainte" ni même "bienheureuse", mais "vénérable": le procès en canonisation de Madeleine Delbrêl (1904-1964), assistante sociale à Ivry, est bien engagé, ce dont se réjouissent l'Eglise catholique et la mairie communiste presque d'une même voix.

Un parfum de "Don Camillo" nimbe la destinée de cette poétesse et mystique qui a accompli son apostolat en milieu athée, dans une "banlieue rouge" du sud de Paris.

Le 26 janvier, le pape François a reconnu les "vertus héroïques" de cette laïque missionnaire déclarée "vénérable", dernière station avant la béatification.

"Sa reconnaissance comme vénérable est signifiante pour toute la ville, pas seulement pour les catholiques", assure à l'AFP Philippe Bouyssou, maire PCF d'Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), commune de 60.000 habitants. "Je vais peut-être lui faire une petite prière pour le budget communal", plaisante-t-il. Avant de saluer, plus sérieusement, "sa générosité et son rayonnement extraordinaire".

Comment celle qui, à 17 ans, proclamait son athéisme dans un poème intitulé "Dieu est mort, vive la mort" en est-elle venue à faire profession de foi en l'Evangile "au milieu des pauvres et des incroyants"? Née en 1904 en Dordogne, Madeleine Delbrêl a vécu la conversion à 20 ans, "éblouie par Dieu".

- Charité "pas condescendante" -

Cherchant sa vocation, la jeune femme ne devient pas religieuse mais s'installe en 1933 avec deux amies à Ivry pour y vivre selon les "conseils évangéliques" - pauvreté, chasteté, obéissance à Dieu. Elle est chargée de deux centres sociaux paroissiaux, avant de se voir confier le service social municipal.

A la Libération, elle porte secours à des victimes des bombardements avec l'élu communiste Venise Gosnat. Si elle quitte son emploi communal en 1945, sa maison demeure un lieu ouvert aux plus démunis. De santé fragile, elle y meurt avant de fêter ses 60 ans.

"Madeleine a pu coopérer avec les marxistes par des actions ponctuelles contre la misère, mais sans ambiguïté: elle ne pouvait pas être communiste, Dieu était trop important pour elle", estime Anne-Marie Viry, vice-présidente de l'association des Amis de Madeleine Delbrêl.

Sorte de soeur aînée des prêtres-ouvriers, elle a, avant même le concile Vatican II (1962-1965) qui a remis en lumière les simples baptisés, "préludé à l'évangélisation perçue et vécue comme un dialogue", analyse le père Bernard Pitaud, grand connaisseur de son oeuvre. Des écrits protéiformes, spirituels mais aussi professionnels, dont l'édition en cours devrait représenter 25 volumes.

"Avec elle, les pauvres ne restaient plus enfermés dans la charité condescendante et l'aumône. Elle les traitait toujours dans le plus grand respect", note Philippe Bouyssou. Le père Pitaud le dit un peu autrement: "Elle était animée d'une véritable charité au sens chrétien du terme: elle ne se coupait jamais des gens".

"La Charité" - nom de sa communauté - a essaimé en petites "équipes Madeleine Delbrêl" jusqu'en Algérie et en Côte d'Ivoire. La dernière a fermé en 2011, et la seule "équipière" survivante est aujourd'hui presque centenaire.

Mais la spiritualité de la "vénérable" Madeleine rayonne encore à Lille, qui accueille des jeunes professionnels vivant en communauté dans une "fraternité diocésaine des parvis", comme en Allemagne ou en Italie.

A Ivry, le diocèse de Créteil va rénover pour 2020 sa maison de la rue Raspail, afin de mieux accueillir les pèlerins (environ 2.000 chaque année).

Mais il faudra littéralement un miracle pour que Madeleine Delbrêl soit béatifiée - et deux pour qu'elle soit canonisée. Le père Gilles François, qui instruit une cause ouverte il y a déjà trois décennies, est confiant sur l'issue du processus: "Mon intime conviction, c'est qu'on ira au bout!"

Si Rome fait d'elle une sainte, "tout le monde ne tiendra pas dans les églises d'Ivry"?, prévient le maire. Qui n'hésiterait pas à organiser "une cérémonie à la mesure de l'événement".

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