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A Rio, l'armée sous le regard vigilant des habitants

Le Christ rédempteur équipé de jumelles et d'un mégaphone: c'est le logo provocateur choisi par l'"Observatoire de l'intervention" de Rio de Janeiro, une des initiatives citoyennes visant à contrôler l'armée après sa prise en main de la sécurité de la ville.

La crainte d'abus ou de violations des droits de l'Homme par les militaires, dans un pays hanté par les fantômes de la dictature (1964-1985), a poussé des avocats, des professeurs d'université, des militants et surtout des organisations d'habitants des favelas à se mobiliser.

t ils ne manquent pas d'idées: d'un groupe Whatsapp crypté pour y déposer des plaintes anonymes, ensuite transmises par des experts à des organismes publics, à des tutoriels diffusés via les réseaux sociaux pour savoir comment affronter les opérations policières ou filmer avec son téléphone de possibles bavures, en passant par une Commission "populaire" de la vérité.

Décidée il y a près d'un mois, "l'intervention nous rend anxieux, on ne sait pas comment ça va se passer. Nous protéger de l'Etat, ce n'est pas quelque chose de nouveau, mais nous avons besoin de renforcer nos réseaux face aux coups bas qu'il peut nous donner", explique à l'AFP Thaina de Medeiros, du collectif Papo Reto du Complexo do Alemao, un des ensembles de favelas les plus dangereux de Rio.

Thaina a participé cette semaine au lancement de l'"Observatoire de l'intervention", chapeauté par le prestigieux Centre d'Etudes de sécurité et citoyenneté (Cesec) de l'université Candido Mendes, avec la collaboration d'organisations comme Amnesty international ou le parquet brésilien, ainsi que des représentants des favelas.

L'idée? Surveiller sur le terrain et en établissant des statistiques les opérations de l'intervention fédérale décrétée par le président Michel Temer le 16 février, quand il a confié les rênes de la sécurité carioca à l'armée.

- 'Un moment d'exception' -

La mesure, en vigueur jusqu'à fin décembre, génère bien des suspicions, notamment dues au fait que les soldats ne pourront répondre de leurs actes que devant les tribunaux militaires.

Encore floue dans son application, cette mesure a permis au président Temer, le plus impopulaire de l'Histoire du Brésil, de regagner un peu de soutien dans la population carioca, lasse de la violence qui a flambé à Rio après les jeux Olympiques de 2016.

Mais déjà des militaires ont été dénoncés pour une opération de contrôle des habitants d'une favela, où ils les ont pris en photo avec leur carte d'identité, sans aucun mandat d'arrêt à leur encontre.

"Cela nous inquiète qu'il y ait plus de violations et d'intimidations comme cela. On est dans un moment d'exception dans la législation brésilienne et ses conséquences ne sont pas encore très claires. Il y a un besoin énorme de contrôler et surveiller, d'avoir des mécanismes contre toute possible manipulation" par le gouvernement des résultats de l'intervention, met en garde Silvia Ramos, une des coordinatrices de l'Observatoire.

La semaine prochaine, l'Observatoire, en association avec Datafolha, publiera une enquête sur 1.000 habitants, leur perception de la violence et leur éventuel statut de victime. Elle refera cet exercice à l'issue du déploiement militaire.

- Inquiétude de l'ONU -

Le projet a été salué par le Haut-commissaire de l'ONU aux droits de l'Homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, qui a souligné "l'importance de la participation de la société civile dans cet organisme".

Il s'est montré en revanche très sévère sur l'initiative du président Temer et la possible "amnistie préventive pour des soldats qui commettraient des violations des droits de l'Homme".

Car le général en chef de l'Armée, Eduardo Villas Boas, a réclamé "des garanties pour pouvoir agir sans le risque que surgisse une nouvelle Commission de la vérité", qui s'était penchée sur les crimes commis sous la dictature.

En réaction, la Fédération des associations de favelas de Rio (Faferj) a proposé de créer une Commission "populaire" de la vérité.

Et Temer lui-même a annoncé la création d'une commission, l'"ObservaRio", pour enquêter sur d'éventuelles violations des droits de l'Homme pendant l'intervention.

Mais Silvia Ramos est loin d'être rassurée: "Au début tous les yeux seront posés sur ça, mais d'ici trois mois plus personne ne va s'en soucier. Il y aura des fusillades dans les favelas et tout le monde trouvera ça normal".

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