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A Soweto, filles et garçons à l'école de la lutte antiviol

"Imaginez que vous aller frapper les parties génitales d'un violeur". Bouclier de cuir en main, l'instructrice donne ses consignes. Ses élèves du jour, des écolières de 11 ans, s'exécutent sans broncher et rouent la cible de violents coups de genou.

Dans la salle de classe peinte en rose de l'école Thabisang, dans le township de Soweto, on a poussé les chaises et les tables. Au programme du jour, cours d'autodéfense pour les filles.

En Afrique du Sud, le viol est un fléau. Les statistiques officielles donnent le vertige. Sur les douze mois courant d'avril 2017 à mars 2018, 40.035 viols ont été recensés. 110 par jour.

"La violence s'est normalisée dans le pays. Il y a tellement de viols que les gens y sont devenus insensibles", estime Debi Steven, la présidente sud-africaine de l'association Action Breaks Silence (ABS), qui lutte contre les violences sexuelles.

Les faits divers plus sordides les uns que les autres font régulièrement la une des médias locaux.

En septembre, une adolescente de 17 ans qui venait d'accoucher a été violée dans une maternité de la province du Cap-Oriental (sud-est) par un homme qui s'était fait passer pour un médecin. Une fillette de 7 ans a subi le même sort à Pretoria, dans les toilettes d'un restaurant familial.

Pour la Ligue des femmes du Congrès national africain (ANC), le parti au pouvoir, la solution passe par la castration des violeurs.

Sur le terrain, pour tenter d'enrayer le fléau, filles et garçons de 11 et 12 ans reçoivent eux, dans le cadre de leur cursus scolaire, des cours antiviol dispensés gratuitement par ABS.

Face aux élèves de l'école Thabisang, une des formatrices de l'ONG, Dimakatso Monokoli, donne ses conseils.

- "Donner confiance" -

"Ne commettez jamais l'erreur de vous retrouver seules dans la même pièce que quelqu'un qui vous rend mal à l'aise. Faites confiance à votre instinct", leur lance-t-elle. Et en cas d'agression, "criez autant que vous pouvez".

"On ne va pas vous apprendre à donner des coups de poing mais à vous battre de façon intelligente, sans force", renchérit un de ses collègues masculins.

Suivent des démonstrations de coups portés aux tibias, à la veine jugulaire, aux parties génitales. "Vous pouvez aussi arracher les oreilles, les narines", détaille l'instructeur.

Les filles passent à l'action. Dans leur uniforme - robe bleu et chaussettes assorties jusqu'aux mollets - elles se déchaînent. Quelques rires mais l'ambiance reste studieuse.

Le programme de formation de l'ONG "ne se focalise pas sur l'aspect physique. Il vise à l'émancipation" des femmes, explique Debi Steven, elle-même victime d'un double viol avant ses 12 ans.

"Nous utilisons l'autodéfense comme outil pour donner confiance aux filles, pour qu'elles puissent mettre fin à une relation parce qu'elles savent qu'elles valent mieux que ça."

Dans de nombreux cas, les violences sexuelles et conjugales sont commises par des proches. Chaque jour, deux femmes meurent en Afrique du Sud sous les coups de leur partenaire ou de leur "ex", selon Debi Steven.

"On est des battantes", lance à la fin d'un cours Nonkululeko, 11 ans et les yeux pétillants d'intelligence. "J'ai une super drogue en moi, l'adrénaline, qui va m'aider à me battre et réaliser presque l'impossible", récite-t-elle.

La lutte contre le viol passe aussi par l'éducation des garçons.

- Catharsis-

ABS préfère voir en eux des "héros" potentiels plutôt que de futurs violeurs. L'ONG cherche à développer leur empathie envers les filles, afin de prévenir tout comportement abusif.

Ce jour-là, des pré-adolescents de l'école d'Ikaneng à Soweto sont appelés à participer à un jeu interactif.

Sur l'estrade, plusieurs piochent une carte où est inscrite une émotion: colère, tristesse, amour, inquiétude... Leur objectif est de la faire deviner à leurs camarades.

"La folie", lancent des gamins. L'élève-acteur est déçu. Il mimait l'inquiétude.

"Dans la culture africaine, on inculque aux garçons qu'ils doivent cacher leurs émotions. Les montrer est une faiblesse", explique Isaac Mkhize, un instructeur lui aussi victime de viols.

"Si vous ne parlez pas, vous refoulez et vous allez exploser et déraper", prévient un psychologue, Thabiso Mailula, qui a collaboré avec ABS.

Ces sessions de formation servent aussi de catharsis aux victimes. Régulièrement, des enfants révèlent à leurs instructeurs les violences sexuelles qu'ils ont subies.

Conquis par l'approche d'ABS, qui a sensibilisé plus de 13.000 enfants dans le pays, le ministère sud-africain de la Santé vient de faire appel à l'ONG pour former 160 instructeurs antiviol.

Ces cours apprennent aux filles "à ne pas se taire", se réjouit une mère, Mali Masondo, violée dans son enfance et longtemps contrainte au silence par sa famille.

La situation, selon elle, est devenue intenable. "On ne sait plus à qui faire confiance, qui aimer, à qui s'attacher", déplore-t-elle, "parfois même, on n'autorise pas des gens à aimer nos enfants comme ils le voudraient car on pense toujours au pire".

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