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A Taëz, des bus détruits par la guerre distribuent de l'eau aux étudiantes

Devant des carcasses de bus criblés de balles, surgit un camion-citerne d'un blanc immaculé transportant de l'eau potable destinée à des étudiantes de l'Université de Taëz, troisième ville du Yémen en guerre toujours menacé par une épidémie de choléra.

Il y a encore deux mois, le véhicule à l'air presque flambant neuf faisait partie des bus en ruine que Nashwan El-Rebasi, chargé de la vie étudiante de l'université, fait réparer et transformer en véritables camions-citernes dans une cour de l'établissement, aux pieds des montagnes de Taëz.

"L'idée est venue avec la pénurie d'eau dans le gouvernorat et l'absence totale de réservoir dans l'université. Nous souffrons du manque d'accès à l'eau, en particulier dans les dortoirs des étudiants", raconte à l'AFP, l'homme de 35 ans en chemise à carreaux mauve et jean bleu foncé impeccables.

Troisième ville du Yémen située dans le sud-ouest du pays, dans une région de hauts plateaux, Taëz a été le théâtre de violents combats entre rebelles Houthis et forces progouvernementales, mais aussi entre factions loyalistes, dans la guerre qui ravage le pays depuis cinq ans.

Toujours aux mains du gouvernement appuyé par l'Arabie saoudite, la ville de 600.000 âmes reste assiégée par les Houthis, soutenus par l'Iran, qui contrôlent les zones abritant les principaux puits et restreignent l'accès à cette denrée essentielle.

- "Nombreuses difficultés" -

"A l'université, 80% des bus ont été détruits", observe M. El-Rebasi, au volant du camion-citerne et entouré de ses collègues techniciens. Pendant deux mois, ils ont travaillé "sans relâche".

Dans un atelier en plein air, les techniciens de l'université démontent les bus, ne conservant que la place avant du chauffeur ainsi que le châssis où est vissé le réservoir au lieu des sièges des passagers.

Au total, quatre camions-citernes sont nés des décombres des bus. Ils bénéficient à environ 200 étudiantes logées dans des dortoirs qui leur sont réservées, sur les quelque 40.000 inscrits de l'université.

"Nous avons rencontré nombreuses difficultés pour l'assemblage et pour trouver les pièces de rechange sur le marché. Nous ne pouvons pas les commander de Sanaa ou d'Aden" (capitale provisoire du Yémen), explique Mohamed Amine, technicien en polo bleu marine.

Les réservoirs se remplissent de l'eau issue des rares petits puits se trouvant dans la zone sous contrôle du gouvernement. Une opération qui coûte chaque mois à l'université 700.000 riyals, soit 2.500 euros selon le cours officiel de la devise (1.200 euros sur le marché noir).

- "Rien d'impossible" -

Les rebelles Houthis, tout comme la coalition militaire menée par Ryad pour appuyer les forces progouvernementales, sont accusés par l'ONU d'avoir commis des crimes de guerre contre les civils et provoquer une crise humanitaire sans pareil à travers le monde, dont la plus grave épidémie de choléra.

L'Organisation mondiale de la santé (OMS) estime à environ 2 millions le nombre de "cas suspects" et que la maladie a tué 3.500 personnes, dont près du tiers sont des enfants de moins de 5 ans.

Le choléra est une infection intestinale due à l'ingestion d'eau ou d'aliments contaminés par une bactérie qui provoque une grave déshydratation. Faute de traitement adéquat et rapide, la maladie est mortelle.

Après avoir garé l'un des camions-citernes, Nashwan El-Rebasi grimpe dans un bus endommagé, examine le véhicule entre les amas de ferrailles et les sièges au cuir déchiré.

Sur un autre car, l'inscription "Université de Taëz" est restée intacte malgré l'aspect délabré du véhicule au pare-brise fracassé portant de multiples traces de balles.

"Nous avons perdu des amis, des membres de nos familles. Les guerres ont tout détruit. Si ce n'est pas la mort, ce sont les déplacements", dénonce Nashwan El-Rebasi, sur un ton calme mais ferme.

Son projet, il le porte comme un message pour la fin des guerres. "Rien n'est impossible, tout peut être réparé. L'important c'est la volonté des gens, de réfléchir à comment résoudre ce que les guerres ont détruit".

"L'université est la base de la vie dans la ville de Taëz", lance-t-il dans un rare sourire.

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