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A Taïwan, une identité profondément enracinée 70 ans après la création de la Chine populaire

La fondation de la Chine populaire il y a 70 ans a irrémédiablement changé le cours de l'histoire de Taïwan. Mais cet anniversaire suscite à peine un haussement d'épaule sur une île où s'est profondément enracinée au fil des décennies une identité propre.

Après la création de la "République populaire de Chine" le 1er octobre 1949, la "République de Chine" ne subsista plus que sur l'ancienne Formose, où s'étaient repliées les forces nationalistes du Kuomintang (KMT) de Tchang Kaï-chek.

Soixante-dix ans plus tard, Taïwan reste au coeur des préoccupations d'une partie de la classe politique à Pékin qui voit l'île comme une pièce manquante du puzzle chinois appelé à être achevé un jour, quoi qu'en pensent les 24 millions de Taïwanais.

Mais pour nombre de jeunes Taïwanais, l'idée que leur territoire ferait partie de la Chine populaire est un non-sens.

"Taïwan est un pays", assène Doris Cheng, 16 ans, pendant une pause de son cours de hip hop en plein air sur l'immense Place de la Liberté de Taipei, qui est dominée par le très imposant mémorial Tchang Kaï-chek.

"Taïwan a l'autonomie, un gouvernement, un peuple et un territoire", énumère-t-elle.

Une de ses camarades danseuses, Stephanie Fu, ne peut qu'agréer.

- "Tellement de différences" -

"C'est normal de se sentir Taïwanaise", dit l'étudiante de 18 ans. "Après tout, nous ne sommes pas nés en Chine."

"Nous n'avons pas le sentiment d'appartenir à la Chine. Culturellement, nous sommes peut-être chinois, mais il y a tellement de différences."

Le Parti communiste chinois n'a jamais contrôlé Taïwan. Mais le président chinois Xi Jinping n'a jamais fait mystère de sa volonté de ramener l'île dans le giron de la Chine continentale.

Dans un discours en janvier, il avait décrit l'assimilation comme "inévitable" et estimé que ce "problème" ne devait pas être légué aux générations futures.

Cette rhétorique agressive n'a certainement pas conquis des Taïwanais qui ont à coeur de préserver les libertés d'une île où le suffrage universel a cours depuis les années 1990.

A en croire un sondage mené par l'Université nationale Chengchi de Taipei, le nombre d'habitants de l'île qui s'identifient comme taïwanais est passé de 18% en 1992 à 55% l'an dernier.

- "Notre sang coule de Chine" -

Le nombre de ceux qui se considèrent comme "Taïwanais et Chinois" est stable autour de 40% tandis que celui de ceux qui se disent chinois est passé d'environ un quart à 4%.

L'émergence d'une identité taïwanaise est un casse-tête pour Pékin.

Mais on continue de trouver sur l'île des personnes âgées qui ont un sentiment d'appartenance à une grande communauté chinoise.

A l'autre bout de la Place de la Liberté, flanquée du Théâtre national de la Salle de concert nationale, David Chang, 56 ans, dispense son cours d'arts martiaux, et le bandana qu'il porte sur la tête est aux couleurs de la République de Chine.

"On nous a enseigné d'où nous venions. Notre nationalité peut changer, mais notre sang coule de Chine", dit-il.

Mais, observe-t-il, être Chinois ne signifie pas appartenir à Pékin.

"Pour ma génération, le concept de pays est le plus fort. Notre pays est la République de Chine."

Hsiang Pi-chien, 100 ans, est un des rares Taïwanais qui se souvient très bien de la fondation de la Chine populaire et des semaines de retraite devant l'avancée des forces maoïstes.

Il lui fallut attendre 39 ans avant de remettre le pied dans son village de Chine continentale, à la faveur de l'amélioration des relations entre les deux rives du Détroit. La plupart des membres de sa famille étaient morts.

- "La nuit et le jour" -

"A l'époque, la Chine était tellement pauvre", raconte-t-il dans sa maison de retraite de Tainan, qui accueille des vétérans du KMT. "Il n'y avait pas de comparaison avec Taïwan. C'était la nuit et le jour."

Dans les années 1980, le "miracle économique taïwanais" avait eu lieu et propulsé l'île au rang de "dragon asiatique", avec Hong Kong, Singapour et la Corée du Sud.

Mais la Chine populaire a à son tour connu depuis un extraordinaire essor économique qui l'a propulsée au rang de deuxième puissance mondiale.

Si le décollage de Taïwan a depuis été suivi d'une démocratisation du régime, la Chine populaire n'a rien déverrouillé sur le plan politique.

Et les relations entre les deux rives du Détroit seront encore au coeur de la présidentielle taïwanaise en janvier.

En attendant, l'intransigeance de Pékin face aux manifestants pro-démocratie à Hong Kong n'est pas pour séduire la jeune génération taïwanaise.

Et quand on demande à Stephanie Fu de dire ce qui selon elle distingue le plus Taïwan de la Chine populaire, elle répond sans détour: "la liberté d'expression".

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