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Irak: Adel Abdel Mahdi, Premier ministre funambule jusqu'à la chute

Adel Abdel Mahdi, le Premier ministre qui devait réconcilier les Irakiens avec leurs politiciens et les puissances ennemies à Bagdad pour stabiliser un pays tout juste sorti d'une énième guerre, part au beau milieu de la pire crise sociale, économique et politique de l'Irak post-Saddam Hussein.

Cet économiste de 77 ans devait permettre d'arrondir les angles face à un Parlement éclaté. Il est devenu le premier Premier ministre d'Irak à quitter son poste avant la fin de son mandat, dans un pays profondément divisé à l'économie exsangue.

Il aura mis cinq mois à réellement quitter son poste, malgré sa démission annoncée en décembre, au pic d'une révolte populaire réprimée dans le sang, avec plus de 550 personnes tuées, en majorité des manifestants pour lesquels les familles réclament toujours justice.

Outre les violences dans les rues alors qu'il gérait les affaires courantes, les tensions américano-iraniennes ont failli exploser à la face des Irakiens, et engendrer une déflagration mondiale.

Quand un drone américain a pulvérisé l'architecte de la stratégie iranienne au Moyen-Orient, le général Qassem Soleimani --et son lieutenant à Bagdad, haut-gradé des troupes irakiennes-- aux portes de l'aéroport de Bagdad, l'homme n'a pu que lancer des appels au calme.

Même chose lorsqu'une vingtaine de missiles balistiques iraniens se sont abattus sur une base irakienne abritant des Américains, le chef de gouvernement a de nouveau semblé subir la situation sans grand levier de pression.

Et quand les députés chiites ont voté l'expulsion des soldats américains en rétorsion, M. Abdel Mahdi a dit prendre bonne note... sans que cette décision ne soit jamais suivie d'effet.

Passé par toutes les tendances politiques au cours de décennies d'opposition --en exil-- au dictateur Saddam Hussein, M. Abdel Mahdi était aussi, assurent ses détracteurs, la personnalité la plus faible face au Kurdistan autonome, qui dispute à Bagdad une part du budget et pétrodollars, et face à des partis politiques tentant d'élargir leur emprise sur un Etat rongé par corruption et clientélisme.

- Consensus et coup d'Etat -

"Il aime le consensus et déteste prendre des décisions radicales", affirme un haut responsable qui a longtemps travaillé avec ce parfait francophone au physique massif, une moustache poivre et sel barrant son visage hâlé.

Mais face à des manifestants sortis par dizaines de milliers dans les rues, "il a été convaincu qu'il devait lutter contre un coup d'Etat", poursuit-il, sous le couvert de l'anonymat.

Et, ne tenant que grâce à ses alliés politiques parce qu'il n'avait lui-même ni parti ni soutien populaire, "il savait qu'il ne pouvait pas se poser en révolutionnaire."

Ce chiite natif de Bagdad mais originaire de Nassiriya dans le Sud, foyer le plus actif de la révolte contre son gouvernement à l'automne, a longtemps été un habitué des cercles diplomatiques en Irak, avant de devenir la bête noire de chancelleries dénonçant sa gestion des manifestations.

Conspué par des manifestants qui l'associaient régulièrement à un scandale vieux de dix ans --il a été accusé de couvrir des membres de sa sécurité personnelle ayant commis un braquage sanglant--, il a finalement été lâché par son propre camp.

Le grand ayatollah Ali Sistani, figure tutélaire qui fait et défait les gouvernements, l'a lâché, puis ses grands alliés, les paramilitaires pro-Iran du Hachd al-Chaabi, emmenés par Hadi al-Ameri, chef de la très puissante organisation Badr et ancien camarade de lutte de M. Abdel Mahdi dans les années 1980 et 1990 au sein du Conseil suprême islamique irakien.

- Revirements politiques nombreux -

Mais avant de rejoindre ce mouvement d'opposition à Saddam Hussein, M. Abdel Mahdi, fils d'un ministre du temps de la monarchie, abolie dans le sang en 1958, a été membre du parti Baas, qui portera le dictateur au pouvoir à la fin des années 1970.

Il devient ensuite un opposant notoire --d'abord communiste, puis islamiste-- et ne revient en Irak qu'à sa chute.

Ces nombreux revirements "disent qu'il ne veut qu'une chose: le pouvoir", assure un ancien haut fonctionnaire, lui aussi sous le couvert de l'anonymat.

Membre des autorités intérimaires mises en place par l'occupant américain en 2003 et brièvement ministre des Finances de cette autorité de transition, il devient vice-président de la République après les premières élections multipartites d'Irak, en 2005.

Nommé ministre du Pétrole en 2014 par le Premier ministre de l'époque Haider al-Abadi --auquel il a succédé--, il démissionne toutefois au bout de deux ans.

Le 25 octobre 2018, en prenant son poste, il assurait avoir "dans sa poche" sa lettre de démission. Il l'a finalement sortie. Mais seulement après deux mois de manifestations et près de 550 morts.

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