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Arménie: la pauvreté et la corruption au coeur de la contestation

Les protestations qui ont abouti lundi en Arménie à la démission du Premier ministre Serge Sarkissian, ont mis en lumière la pauvreté, la corruption et la crise de confiance envers le pouvoir dans cette ex-république soviétique du Caucase.

Lancée le 13 avril avec un premier rassemblement à Erevan, la capitale, la contestation a mobilisé rapidement des dizaines de milliers de personnes en Arménie. La cible: l'ancien président Serge Sarkissian, tout juste nommé Premier ministre après avoir passé une décennie à la tête de ce petit pays sans réussir à améliorer la vie quotidienne de ses compatriotes.

Lundi, il a annoncé sa démission en estimant "s'être trompé".

"La nomination de Serge Sarkissian à ce poste n'était qu'un prétexte, la raison de cette grave crise politique est beaucoup plus profonde", assure à l'AFP l'analyste Iouri Navoïan, qui préside l'ONG russo-arménienne Dialogue, basée à Moscou.

Selon lui, "les protestations en Arménie ont révélé des problèmes socio-économiques et politiques qui se sont accumulés depuis des années", parmi lesquels "la corruption systématique" et "le monopole public dans l'économie" qui a rendu impossible le développement des petites et moyennes entreprises dans le pays.

Le taux de pauvreté en Arménie a augmenté ces dernières années: il était de 29,8% en 2016 et de 27,6% en 2008, selon les données de la Banque mondiale, tandis que le revenu national brut (RNB) par habitant stagne à 3.770 dollars, une somme quasi identique à celle d'il y a dix ans.

"Beaucoup de gens n'ont pas de travail et vivent dans la pauvreté", constate l'analyste Hakob Badalian.

- 'deux réalités aux antipodes' -

"La corruption est en train d'étouffer le pays. Si on veut lancer sa petite entreprise, il faut donner un pot-de-vin aux fonctionnaires. Les agents du Service fiscal réclament eux aussi un pot-de-vin, et même les professeurs d'école demandent des cadeaux", a raconté à l'AFP Moucheg Khatchatrian, un chômeur de 52 ans.

Selon l'analyste arménien Viguen Hakobian, les gens sont descendus dans la rue "en raison de l'injustice criante qui existe dans tous les domaines de la vie" en Arménie.

"La majorité de la population n'a plus confiance envers les autorités, ni envers le système politique du pays en général", constate Iouri Navoïan, en assurant que "les autorités et le peuple constituent deux réalités aux antipodes" en Arménie.

"Mais c'est le fait que Serge (Sarkissian) n'a pas tenu sa promesse de ne pas rester au pouvoir qui a surtout mis le peuple en colère", assure à l'AFP le politologue Arman Bochian.

Alors que la Constitution d'Arménie interdit au président d'effectuer plus de deux mandats, Serge Sarkissian, à la tête du pays depuis 2008, avait fait voter en 2015 une réforme controversée donnant l'essentiel des pouvoirs au Premier ministre, les fonctions du président devenant largement protocolaires.

Il avait alors assuré qu'il n'entendait pas présenter sa candidature au poste de chef du gouvernement.

- 'contre le règne de Serge' -

Mais le 17 avril, cet ancien militaire de 63 ans, dont le Parti républicain dispose de la majorité au Parlement, s'est fait nommer Premier ministre, revenant ainsi de facto au pouvoir.

"Les Arméniens sont résolument contre la poursuite du règne de Sarkissian. En 27 ans d'histoire de l'Arménie indépendante, aucun président n'a dirigé le pays au-delà des deux mandats autorisés", a indiqué à l'AFP l'analyste Grigor Atanessian.

Serge Sarkissian est réputé pro-russe, mais aucune accusation en ce sens n'a été formulée par les manifestants, à la différence du soulèvement pro-occidental du Maïdan en Ukraine qui a abouti à la destitution en février 2014 du président pro-russe Viktor Ianoukovitch.

La contestation populaire en Arménie n'est guidée "ni par les intérêts des Etats-Unis, ni par ceux de l'Union européenne, ni par ceux de la Russie", a affirmé le député et chef de l'opposition, Nikol Pachinian.

Pour sa part, la Russie, qui absorbe près du quart des exportations arméniennes et dispose d'une base militaire en Arménie, s'est gardée de tout commentaire.

Le Kremlin suit "attentivement la situation en Arménie", "très proche allié" de la Russie, a déclaré lundi le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov, en soulignant que ce mouvement de protestation était "une affaire intérieure arménienne".

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