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Arménie: Sarkissian et Pachinian, le Premier ministre et son pire ennemi

L'un est un ancien journaliste et opposant de longue date reconnaissable à son treillis qui harangue les foules avec un mégaphone. L'autre est un ancien militaire qui dirige l'Arménie depuis 2008 et vient récemment nommé Premier ministre, avec des pouvoirs renforcés et dont les protestataires réclament le départ.

Pachinian, le fugitif devenu meneur

Il y a encore quelques semaines, peu nombreux étaient ceux qui pensaient que Nikol Pachinian serait capable de faire sortir des dizaines de milliers d'Arméniens dans les rues, bloquer les routes et paralyser l'économie pour protester contre le maintien au pouvoir de Serge Sarkissian.

Pour beaucoup d'Arméniens, cet ancien journaliste de 42 ans est associé à un souvenir tragique: la mort de 10 manifestants en 2008, dans des affrontements entre la police et les partisans de l'opposant défait à Serge Sarkissian, qui venait de remporter son premier mandat présidentiel.

Nikol Pachinian faisait déjà partie des meneurs de la contestation et il était passé dans la clandestinité pendant plusieurs mois avant de se rendre. Incarcéré, il avait été libéré en 2011, bénéficiant d'une amnistie.

Connu pour son franc-parler et ses questions gênantes, qu'il n'hésite plus à poser au Parlement depuis que le parti qu'il a créé ("Contrat civil") y a fait son entrée en 2017, Nikol Pachinian s'est imposé comme l'opposant le plus efficace de Serge Sarkissian.

Il n'hésite pas non plus à donner de sa personne, quitte à se mettre en scène. Blessé lors d'échauffourées avec la police, lundi, il est apparu depuis avec le bras bandé et des coquards autour des yeux.

"Pachinian est différent de la plupart des personnalités de l'opposition car il est audacieux, il n'a pas peur, il est créatif", explique à l'AFP le sociologue Guevorg Pogossian.

Ce sont ces caractéristiques qui valent à ce père de quatre enfants une partie de sa popularité, notamment auprès des jeunes ayant grandi après la chute de l'Union soviétique et l'indépendance du pays, en 1991.

Pour l'analyste Alexandre Iskandarian, l'opposition arménienne a été quasiment réduite à néant et Nikol Pachinian en est aujourd'hui l'unique figure de proue. "L'opposition arménienne, aujourd'hui, c'est lui", affirme-t-il.

Sarkissian, bilan correct à l'étranger, moins en Arménie

A 63 ans, Serge Sarkissian joue un rôle de premier plan dans la politique arménienne depuis l'indépendance du pays. Militaire, il s'illustra d'abord dans la guerre du Nagorny-Karabakh entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, qui fit près de 30.000 morts au début des années 1990 et lui vaut aujourd'hui encore une grande part de son aura.

"Il a joué un rôle énorme dans la guerre au Nagorny-Karabakh et dans le processus de négociation", souligne l'analyste Tatoul Akobian, qui rappelle que l'homme de guerre, chef des forces d'autodéfense de cette région séparatiste, sut se muer en faiseur de paix et "appela courageusement à faire les compromis nécessaires" pour un arrêt des combats.

Avant de devenir président, Serge Sarkissian a occupé presque tous les postes qui comptent au sein du pouvoir arménien: ministre de l'Intérieur, de la Défense, de la Sécurité nationale et enfin Premier ministre avant d'accéder à la fonction suprême, en 2008.

Sur la scène internationale, Serge Sarkissian s'est rapproché de la Russie, qui dispose d'une base militaire en Arménie, sans couper les liens avec l'Union européenne. "Il a été capable de maintenir un équilibre entre l'Europe et la Russie, ce qui est unique dans l'espace post-soviétique", affirme le sociologue Guevorg Pogossian.

Mais le bilan domestique est beaucoup plus mitigé. Depuis son arrivée au pouvoir, la corruption dans la police et la justice n'est guère combattue et le pays est maintenu sous une coupe serrée et la situation économique est préoccupante.

Le taux de pauvreté en Arménie était de 29,8% en 2016 contre 27,6% en 2008 selon la Banque mondiale et le Revenu national brut (RNB) par habitant stagne aujourd’hui à 3.770 dollars, le même chiffre qu'il y a dix ans.

Toutes les élections depuis que Serge Sarkissian est président ont été accompagnées de mouvements de protestation, rappellent d'ailleurs les experts.

La personnalité de ce père de deux filles, professeur de musique de formation qui est également président de la Fédération arménienne d'échecs, n'aide pas: Serge Sarkissian a souvent l'image d'un homme froid, calculateur et d'humeur maussade.

"C'est un bon joueur, mais c'est un très mauvais dirigeant (...) C'est un leader de type autoritaire, mais d'un autoritarisme mou", juge Tatoul Akobian.

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