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Au Bangladesh, la criminalité s'ancre dans les camps rohingyas

Une série de meurtres et la présence de plus en plus visible de bandes criminelles alarment les camps rohingyas au Bangladesh, où la police peine à assurer l'ordre au milieu d'un million de réfugiés.

La région de Cox's Bazar, dans le sud du Bangladesh limitrophe de la Birmanie, connaît de longue date des trafics de drogues et d'êtres humains. Mais la situation s'est dégradée à la suite de l'arrivée de Birmanie de 700.000 membres de la minorité musulmane rohingya l'année dernière, fuyant une épuration ethnique menée par l'armée birmane.

À peine un millier de policiers bangladais sont censés assurer la sécurité de ces bidonvilles qui s'étendent à perte de vue sur des collines déboisées, dans le ventre desquels au moins 21 personnes ont été assassinées ces derniers mois.

Parmi les victimes figurent notamment trois responsables communautaires rohingyas reconnus. En juin, l'un d'entre eux est tombé sous 25 coups d'armes blanches portés en pleine journée sur une place très fréquentée.

- Enlèvements -

La police de Cox's Bazar, qui n'a à ce jour procédé à aucune inculpation pour ces meurtres, attribue cette montée de violence à des règlements de compte et luttes de pouvoir entre différentes factions rohingyas.

Une détérioration sécuritaire qui laisse le gros des réfugiés sans défense, à la merci des criminels.

"Lorsque les gangs viennent dans les camps, les gens appellent la police. Mais ils arrivent seulement après que les criminels sont partis", relate à l'AFP Runa Akter, jeune fille de 16 ans dont le père et un proche ont disparu en juillet.

Le cadavre de son oncle ayant été retrouvé par la suite, l'adolescente considère comme acquise la mort de son géniteur. La famille vit aujourd'hui dans la peur de nouveaux enlèvements.

"Nous sommes terrifiés. Nous sommes particulièrement inquiets pour mon frère, car il y a eu des menaces d'enlèvement et de mort contre lui. J'ai déjà perdu mon père, je ne veux perdre personne d'autre dans la famille", confie-t-elle.

Les camps de réfugiés rohingyas existent sans discontinuer depuis près de 30 ans au Bangladesh, même si avant août 2017 - le début d'un exode sans précédent de Birmanie - ils étaient d'une taille nettement plus modeste.

Selon les enquêteurs, certains réfugiés sont de mèche avec des réseaux de trafiquants, leur vendent des filles et femmes destinées à la prostitution ou encore recrutent des passeurs pour le transport de méthamphétamine en provenance de Birmanie.

Ce fléau s'est intensifié avec la marée humaine de l'année dernière, selon Afruzul Haque Tutul, vice-directeur de la police de Cox's Bazar. Les groupes criminels, explique-t-il, ont profité de de l'océan de misère et de désespoir pour extorquer "énormément d'argent" aux nouveaux réfugiés contre un emplacement, un toit ou de la nourriture.

Les forces de l'ordre ont arrêté des centaines de Rohingyas pour des chefs allant du trafic de drogue au viol, de la possession d'armes au meurtre. Mais faire respecter la loi dans ce gigantesque labyrinthe grouillant de monde, où les possibilités de se cacher sont infinies, paraît un défi insurmontable.

- Assassinats de leaders -

Dans ce contexte, les guerres de territoires au sein du plus grand camp de réfugiés de la planète ont vite pris un virage sanglant.

Parmi les défunts, le récent meurtre en plein jour du "mahji" Arifullah a connu un grand retentissement. Ces influents dignitaires rohingyas ont la charge de milliers de réfugiés, règlent les problèmes de la vie de tous les jours des camps et sont les interlocuteurs officiels des autorités du Bangladesh.

Une position de pouvoir susceptible d'irriter certains rivaux, qui auraient alors pu décider de l'éliminer, avance Afruzul Haque Tutul.

Rencontrée par l'AFP, sa veuve voit ainsi dans l'assassinat du mahji la main de rebelles rohingyas - une organisation obscure à l'origine d'attaques contre les forces birmanes en août 2017, qui ont enclenché la brutale répression de l'armée - dont son mari était "très critique".

"C'est très difficile, et parfois dangereux, d'être un mahji", déclare Abdur Rahim, le bras droit d'Arifullah, qui a pris sa succession quatre jours après sa mort.

"Si les choses commencent à déraper, ça peut vite devenir un très gros problème", confie-t-il à l'AFP dans la hutte de bambou qui lui sert de bureau dans le camp de Balukhali. La veille de l'interview, la foule avait sauvagement passé à tabac un mahji d'un camp voisin.

- Peur -

Face à l'ampleur de la tâche, la police locale a demandé à Dacca de lui allouer 1.500 hommes supplémentaires, à peine une goutte d'eau dans l'océan de besoins.

D'après un responsable communautaire rohingya qui n'a pas souhaité être nommé, une augmentation d'effectifs policiers ne suffira toutefois pas à enrayer la spirale de violence: "il n'y a pas de policier après minuit. Même pendant la journée, durant leurs tours de garde, ils restent souvent dans leurs postes", décrit-il à l'AFP.

Dans ces conditions, la peur s'insinue petit à petit dans les camps. Et l'omerta s'installe.

"Dans votre ville, si vous aviez des criminels ou des terroristes ou des bandits, vous seriez sans aucun doute terrifié", lance Afruzul Haque Tutul.

Pour améliorer la sécurité, des organisations humanitaires installent désormais des lampadaires. Des barrages policiers devraient aussi être placés dans certaines zones sensibles du dédale de bicoques.

Pour l'influent leader rohingya Mohibullah, l'émergence de la criminalité est malheureusement inévitable dans ce ghetto embourbé dans la pauvreté et le désespoir, où des centaines de milliers d'âmes croupissent sans perspectives d'avenir.

"C'est terrible. Mais on se dit que la vie de réfugiés c'est ça."

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