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Au Canada, la santé publique à l'épreuve du cannabis légalisé

La légalisation du cannabis récréatif au Canada vise à assécher le marché illégal et à contrôler la qualité des produits. Mais à deux jours de son entrée en vigueur, elle suscite toujours de vives inquiétudes, notamment sur la santé des jeunes et la sécurité routière.

Risques pour la santé mentale des adolescents, impréparation de la police, règlementations variant d'une province à l'autre: les opposants, dont de nombreux médecins, craignent une flambée de la consommation et son cortège de conséquences néfastes.

"Ce gouvernement n'est absolument pas prêt pour la légalisation de la marijuana. Le pays n'est pas prêt", a prévenu le député conservateur John Brassard, dont le parti n'a cessé de dénoncer cette réforme phare du mandat de Justin Trudeau.

"Comme médecin et comme père, je ne suis pas d'accord avec la légalisation du cannabis récréatif", explique à l'AFP Antonio Vigano, spécialiste du cannabis thérapeutique et directeur de recherches à la clinique Santé Cannabis à Montréal.

- Inquiétudes -

Comme de nombreux confrères, il invoque les risques d'un accroissement de la consommation chez les jeunes, qui pourront acheter de la marijuana dès l'âge de 18 ou 19 ans, selon les provinces.

"On sait que le cerveau est encore en phase de développement jusqu'à 25 ans", insiste ce spécialiste. Sans parler de "l'effet synergique" entre cannabis et l'alcool, souvent associés en un cocktail ravageur, selon lui.

"Il y a des inquiétudes en matière de santé", reconnaît de son côté Gillian Connelly, de l'organisme de prévention Santé publique Ottawa. "Mais pendant des années, nous avons simplement dit: +ne consommez pas+. Ça n'a pas marché. La légalisation donne l'occasion d'avoir un vrai débat sur l'utilisation du cannabis".

De fait, le Canada compte parmi les pays où la consommation par habitant de cette drogue douce est l'une des plus élevées au monde: environ 4,6 millions de personnes, soit 16% de la population, ont reconnu en avoir fumé cette année.

Le gouvernement fédéral a dépensé plusieurs dizaines de millions de dollars pour des campagnes d'information et de prévention, notamment dans les écoles. Quatorze millions de foyers ont reçu un courrier expliquant la nouvelle règlementation, les risques pour la santé, la nécessité de garder les produits loin des enfants ou des animaux, etc.

D'autres s'inquiètent d'une recrudescence des accidents routiers liés à la conduite sous l'emprise de marijuana.

Une récente étude publiée par l'institut officiel Statistique Canada a révélé qu'un consommateur de cannabis sur sept (14%) possédant un permis avait déjà conduit un véhicule dans les deux heures suivant sa consommation.

"Pour les gens qui conduisent, on sait que la présence de THC (la substance psychoactive, NDLR) est un risque pour l'attention, la concentration, le jugement", relève Antonio Vigano.

- La prohibition "pire" que le cannabis -

Pour contrer ce risque, plus de 800 officiers de police ont reçu une formation pour reconnaître les conducteurs conduisant sous l'effet du cannabis, un chiffre jugé bien trop faible. 1.500 autres seront formés dans les prochaines années, a promis le gouvernement.

Ils sont notamment entraînés pour mener des prélèvements salivaires visant à détecter les traces de THC lors des contrôles routiers.

Une nouvelle génération d'appareils a été approuvée en août mais certaines forces de police ont déjà annoncé qu'elles refuseraient de les utiliser, car ils seraient trop chers et peu fiables selon eux. Ils ne fonctionnent parfaitement qu'entre 4 et 40 degrés celsius, et seraient donc peu adaptés aux rigueurs du long hiver canadien...

Mais pour Jean-Sébastien Fallu, spécialiste de toxicomanie à l'Université de Montréal, tous ces risques ne pèsent finalement pas lourd face aux vertus de la légalisation.

"Le cannabis n'est pas bon pour la santé, mais la prohibition est extrêmement nocive et pire que le cannabis", insiste-t-il lors d'un entretien à l'AFP. "Tous les arguments reposent sur la crainte de l'augmentation de l'usage mais ce n'est pas quelque chose qu'on prédit, du moins à court terme, sur la base des études menées ailleurs dans le monde et des sondages."

"Et puis je préfère un peu plus d'usage de cannabis et quelques méfaits de plus, que les conséquences catastrophiques de la prohibition en termes de stigmatisation, de violence, de criminalité, d'économie illicite, etc", résume-t-il.

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