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Pourquoi ces manifestantes chiliennes portent-elles un pansement sur l’œil?

Carlos était en train de courir en pleine manifestation lorsqu'il a senti son œil se fermer. Quelques secondes plus tard, le sang dégoulinant sur son visage lui a fait comprendre qu'il venait de rejoindre la liste des 200 manifestants éborgnés par les forces de l'ordre depuis le début de la crise sociale au Chili.

Selon l'Institut national des droits humains (INDH), un organisme public indépendant, 197 personnes ont subi des blessures oculaires, "surtout de tirs de plombs, mais aussi d'autres armes, comme les bombes lacrymogène" depuis le début de la contestation le 18 octobre.

Un chiffre qui dépasse de loin le nombre de cas similaires survenus pendant la crise des "gilets jaunes" en France -- 24 selon le décompte d'un journaliste indépendant -- ou des manifestations massives à Hong-Kong, soulignent l'ordre des médecins chiliens et plusieurs organisations locales de défense des droits humains.

Avec ces plombs, "ils ont voulu que je ressente de la douleur, de la peine, du regret, de la peur, mais cela a eu l'effet inverse : je sens plus de rage que de peur, plus de haine que de peine, et c'est contre ces gens qui tirent et mutilent des gens", raconte à l'AFP Carlos Vivanco, 18 ans, dans sa maison de La Pintana, un quartier périphérique de Santiago.


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Ce lycéen a totalement perdu la vision de son œil gauche il y a trois semaines lorsqu'il a participé à une manifestation dans son quartier. Alors qu'il fuyait les tirs de la police, il a été touché par huit plombs, dont celui qui a causé sa grave blessure oculaire.

Son œil droit a été épargné de justesse : un autre plomb s'était fiché dans l'os lacrymal, sous le globe oculaire. A quelques centimètres près, Carlos aurait connu le sort dramatique de Gustavo Gatica, cet étudiant de 21 ans devenu presque totalement aveugle après avoir été blessé aux deux yeux.

"J'avais conscience de ce qu'ils sont capables de faire, mais je ne pensais pas qu'ils avaient l'autorisation de tirer comme ça, comme des bouchers", confie Carlos à propos des forces anti-émeutes chargées de maintenir l'ordre.


"Triste record"

César Callozo, 35 ans, a été blessé à un œil alors qu'il jouait des percussions avec d'autres musiciens à proximité de la Plaza Italia, devenue l'épicentre de la contestation.

"Il y avait une très bonne ambiance. Brusquement, j'ai senti un coup à l'œil et je suis tombé à terre. La douleur a disparu et mon visage s'est endormi ; je me suis levé et j'ai crié qu'ils n'allaient pas me vaincre", se souvient au bord des larmes le trentenaire qui attend son tour pour une consultation ophtalmologique à l'hôpital Salvador de Santiago.


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A ses côtés, Nelson Iturriaga, 43 ans, attend lui aussi de voir un spécialiste, espérant pouvoir retrouver une partie de sa vue. "Ils ont voulu éteindre le feu en jetant de l'huile dessus et les gens sont toujours dans la rue", constate ce maçon.

"Nous détenons le triste record mondial du nombre de cas de perte de vision. Bien plus que dans les zones comme Hong-Kong ou ce qui s'est passé avec les gilets jaunes à Paris, ou les manifestations en Espagne, et même la guerre en Palestine", constate Mauricio Lopez, chef de l'Unité de soins ophtalmologiques à l'hôpital Salvador, qui reçoit la plupart des blessés.

Dans les manifestations, les contestataires portent désormais un pansement sur l'un des deux yeux afin de marquer leur soutien aux éborgnés de la contestation sociale. 


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"Une épidémie"

"C'est une épidémie", déplore-t-il. Selon lui, 35 personnes ont subi des blessures profondes et risquent de perdre totalement la vue.

Des représentants du gouvernement chilien ont défendu l'action de la police devant la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH), lors d'une audience récente en Equateur, tout en s'engageant à "limiter" l'usage des munitions de plomb.

Au moins vingt personnes sont mortes depuis le début de la crise chilienne, dont cinq après l'intervention des forces de l'ordre, et plus de 2.000 ont été blessées, selon des chiffres officiels.

Malgré cela, près d'un mois après le début de cette explosion sociale totalement sans précédent dans ce pays sud-américain, les manifestations restent massives.

"Le mouvement m'a coûté un œil, mais je suis heureux" car la lutte pour un Chili plus égalitaire se poursuit, assure Carlos en montrant ses doigts tatoués du mot "liberté".


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