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Au collège de Samuel Paty, le lent retour des rires, malgré les cauchemars

"On en parle du cauchemar que j'ai fait cette semaine ?" Près de six mois après le choc de l'assassinat de Samuel Paty, les élèves du collège du Bois-d'Aulne à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) ont repris le cours de leurs vies d'adolescents, avec des rires mais aussi, souvent, des fantômes.

Depuis ce 16 octobre 2020 où leur professeur d'histoire-géographie a perdu la vie sous la lame d'un jeune islamiste, Mei et Léna confient être "sclérosées": ces deux élèves de 3e aiment leur établissement de cette petite ville pavillonnaire de l'ouest parisien mais ne "s'y sentent plus en sécurité".

Comme leurs camarades interrogés par l'AFP, elles n'ont accepté de s'exprimer qu'à la condition que leur prénom soit modifié. "Ils ont quand même été obligés de mettre ces grandes grilles pour nous protéger", justifie Léna en désignant les hautes barrières installées à quelques mètres de l'entrée du collège.

"Au début, je me suis vraiment dit: ce collège est souillé par la mort de Monsieur Paty", confie Léna. "Après, je me suis rendue compte que je ne me souvenais pas seulement de cet événement, et que le drame n'avait pas effacé tous les très bons souvenirs. Je me souviens de Monsieur Paty, de la personne merveilleuse qu'il était, de ses cours qui m'ont beaucoup aidée..."

A l'inverse de son amie, Mei décrit une ambiance de déni "un peu pesante" qui règne selon elle au collège. "Tout le monde fait comme si rien ne s'était passé, pour essayer d'oublier". Mais "on en parle du cauchemar que j'ai fait cette semaine ?", lâche-t-elle avec autodérision.

- "Mettre du sens" -

Dans ses cauchemars, Mei rêve qu'elle "tue des profs".

Après l'attentat, une cellule médicopsychologique d'urgence a reçu 207 personnes (élèves, parents et personnels) en une semaine, selon le rectorat de Versailles.

"Il y avait des symptômes de stress, d'angoisse, de tristesse, de colère", énumère pour l'AFP Amandine Pain, l'une des coordinatrices de la cellule gérée par le Samu des Yvelines au sein du collège.

En quelques jours, de nombreux patients sont parvenus à "mettre du sens" sur le drame et son horreur. "Sur un temps très court, la pensée se met à l'œuvre", note Amandine Pain. "D'un événement brut sans nuance, chacun va se construire son histoire de cet événement, se l'approprier".

Pour Léna, cette appropriation se traduit par la revendication de droits.

"Ce qui s'est passé pour moi, c'était tellement injuste. Monsieur Paty était dans son droit (...) le droit au blasphème, le droit à la liberté d'expression", dit-elle avec aplomb.

En novembre, une "cellule d'écoute académique" s'est entretenue avec 65 personnels et 68 élèves de l'établissement. Un mois plus tard, le collège a souhaité alléger le dispositif.

- "Ça fait du bien d'oublier" -

Des témoins d'attentats sont aussi intervenus dans certaines classes. Cette rencontre a permis d'atténuer la "colère" qui habitait Anna depuis des mois.

"Je leur ai dit que j'étais en colère contre le tueur. Ils m'ont dit que c'était normal. Au début, cette phrase, je l'ai pas comprise mais en fait, c'est logique d'être en colère et il faut qu'on fasse notre deuil", dit Anna. "Honnêtement, ça nous fait du bien d'oublier en quelque sorte", ajoute l'adolescente. "Maintenant je suis en 3e, je passe le brevet."

Le collège a également organisé la confection d'une grande fresque colorée: derrière les grilles, dans la cour de récréation, les mots "Amour" et "Tolérance" ont été peints sur un mur.

Souleymane et Yanis, élèves de 6e, y ont contribué. "C'était très important de rendre hommage à un professeur décédé. Ça m'a permis de visualiser les faits", explique Yanis. "Ouais, mais ça sert à rien de rester bloqués, sinon on va jamais s'en sortir", le coupe Souleymane.

Le fils de Nathalie Allemand, en classe de 4e, préfère lui aussi "ne plus en parler".

Rencontré en octobre après l'attentat, l'élève, dont Samuel Paty était le professeur principal, n'osait même plus sortir les poubelles.

Aujourd'hui, aller seul à l'école l'angoisse encore, confie sa mère. Toutefois, elle ne "l'interroge pas plus que ça" sur ses sentiments, de peur de briser ses progrès, fragiles. Son fils "rigole à nouveau depuis un mois".

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