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Au Liban, Ghosn le fugitif s'affiche en tribun pugnace

Pêle-mêle, il aborde Versailles, la fusion Nissan-Renault, son épouse, la "persécution" de la justice japonaise. Gesticulant et jonglant entre les langues, c'est un Carlos Ghosn pugnace qui a lancé mercredi sa contre-attaque médiatique depuis Beyrouth, où il s'est réfugié après avoir fui Tokyo.

Théâtral, il multiplie les bons mots, arrache des rires et des applaudissements dans une salle surchauffée du syndicat de la presse, où sont présents plus d'une centaine de journalistes.

Pendant près de trois heures, l'ancien patron de Renault-Nissan, qui fait l'objet de quatre inculpations au Japon notamment pour abus de confiance aggravé, a parlé sans relâche, souvent à toute allure, comme un homme trop longtemps contraint au silence après plus de quatre mois de détention.

"Je suis habitué à ce qu'on appelle +les missions impossibles+", assène l'homme d'affaires de 65 ans, dont la fuite du Japon demeure encore en grande partie mystérieuse.

Il s'accorde seulement une courte pause avant de répondre aux questions, pour boire un peu d'eau, essuyer son visage en sueur, mais aussi serrer dans ses bras sa femme Carole, assise au premier rang.

Lorsque des journalistes tentent de s'approcher du couple pour prendre des photos, son service de sécurité les repousse de manière musclée.

Dans son costume gris impeccablement taillé, il pointe souvent du doigt les documents, parfois illisibles, projetés derrière lui. Il lève les bras, exprime son indignation, sa stupeur avec force grimaces face au "complot" dont il se dit victime, lui qui aime le Japon et les Japonais, lui qui a redressé Nissan, plaide-t-il.

- "Louis XIV, Marie-Antoinette" -

L'évènement, minutieusement orchestré par son équipe de communication, finira par un flot de question, avec un M. Ghosn aux manettes qui donne la parole et répond en arabe, en anglais, en français et en portugais.

Il se penche sur certaines accusations, dénonce une campagne visant à ternir son image, promet de laver son nom. Il donne des chiffres à la volée, parle de holding et de fusion Renault-Nissan, exhibe des factures pour des évènements organisés à Versailles.

"Versailles est le symbole du génie français", lance l'homme d'affaires dans un anglais parfait, mâtiné d'un léger accent franco-libanais, évoquant un des évènements qui s'est tenu dans le château français.

La justice soupçonne une de ces soirées, organisée en mars 2014, d'avoir servi à fêter les 60 ans de Carlos Ghosn, sous couvert de célébrer les 15 ans de l'alliance Renault-Nissan, ce qu'il nie.

"Vous dites Versailles, n'importe quel étranger va venir (...). Ce n'est pas pour imiter Louis XIV ou Marie-Antoinette, c'est ridicule", s'exclame le magnat de l'automobile déchu.

De son exfiltration mystérieuse, racontée dans les médias comme un film d'espionnage hollywoodien, il ne dira rien, pour protéger, dit-il, les personnes impliquées.

Mais il s'épanche sur sa famille qui lui a manqué, et ses 130 jours de détention au Japon, entre son arrestation en novembre 2018 et sa libération sous caution en avril 2019. "C'est comme si j'étais mort", dit-il.

"Placé en isolement, une cellule minuscule sans fenêtre (...) interrogé jour et nuit", raconte-t-il. "La douche c'est deux fois par semaine, j'ai essayé de demander plus, ils ont dit +non+", assure l'homme d'affaires indigné, qui a été privé de tout contact avec son épouse Carole.

"Peut-être que pour de nombreuses personnes, ça n'aurait pas été une punition de ne pas voir leur femme", lance-t-il. "Mais pour moi ça l'était".

- "Un vrai samouraï" -

Ses avocats ont fait le déplacement, ainsi que certaines connaissances du Liban. Au début de la conférence, un vieil homme se lève pour lui faire la bise. "Comment vas-tu", lui demande-t-il en arabe, lui serrant la main chaleureusement.

En réponse à une question, M. Ghosn assure n'avoir aucune "ambition politique" au Liban, mais se dit prêt à mettre son "expertise" au service du pays au bord de l'effondrement économique.

"Il était excellent", confie à l'AFP le journaliste Ricardo Karam, son ami qui l'a reçu à plusieurs reprises sur son plateau de télévision.

"Il était calme. Surtout quand il a parlé de questions personnelles, sa famille, ses enfants, sa femme. Moi si j'avais été à sa place, je me serais écroulé. Il était fort, c'était un vrai Samouraï".

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