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Au Liban, voisin de la Syrie, Moscou cherche à avancer ses pions

Au premier étage d'un immeuble d'Aley, petite ville nichée dans la montagne libanaise, Galina Pavlova fait réciter l'alphabet cyrillique à ses étudiants, venus apprendre la langue de Pouchkine dans un centre culturel libano-russe fraîchement inauguré.

Acteur incontournable de la guerre en Syrie, où elle intervient militairement depuis 2015, la Russie cherche à mettre un pied au Liban voisin, un allié traditionnel de Washington et de Paris au Moyen-Orient.

Moscou mise pour cela sur la langue et l'éducation, mais aussi sur l'économie et le rapprochement politique, dans le cadre d'une stratégie plus large visant à accroître son influence dans la région.

"On ne veut pas que seuls la France et les Etats-Unis soient présents", lance Mme Pavlova, professeure de russe installée depuis 25 ans au Liban, où l'anglais et le français sont prédominants.

Rien que cet été, trois nouveaux centres culturels ont ouvert leurs portes à travers le pays. Fondés par des Libanais, ces espaces ont le soutien de l'ambassade de Russie, et portent à neuf le nombre de "sentinelles" culturelles implantées en dix ans.

Moscou disposait jusque-là d'un seul centre à Beyrouth, fondé en 1951.

"Cette expansion s'inscrit dans le cadre d'une stratégie visant à conforter la présence de Moscou au Proche-Orient", déclare Imad Rizk, directeur du centre Isticharia pour les études stratégiques et de communications.

Les liens entre le Liban et la Russie s'étaient renforcés durant les années 1950 à 80 à la faveur de la montée de la gauche libanaise, avant de faiblir au lendemain de l'effondrement du bloc soviétique.

"Le Liban, encore fortement associé à l'Occident, est une pièce –certes symbolique– d'une volonté (russe) plus large de remodeler la gouvernance du monde" et de provoquer "l'avènement d’un ordre post-occidental", soutient Julien Nocetti, chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri).

- Gaz et reconstruction syrienne -

Outre la prolifération des centres culturels, à laquelle se greffe une hausse des bourses universitaires accordées aux Libanais, la Russie compte sur l'économie.

Ses exportations vers le Liban ont quasiment doublé en cinq ans, atteignant 770 millions de dollars en 2017 (663 millions d'euros), contre 423 millions en 2012, selon les douanes libanaises.

Un projet de "couloir vert" est à l'examen pour doper les exportations agricoles du Liban vers la Russie.

Sur le plan énergétique, le russe Novatek a remporté fin 2017 le premier appel d'offres lancé par Beyrouth pour l'exploration de son gaz offshore, dans le cadre d'un consortium alliant le français Total et l'italien Eni.

Dans la même veine, le chef de la diplomatie libanaise Gebran Bassil, lors d'un récent déplacement à Moscou, a appelé les entreprises russes à participer à un deuxième appel d'offres à venir.

"Nous espérons faire participer aussi les Russes au vaste chantier de modernisation des infrastructures libanaises", indique Jacques Sarraf, président du conseil d'affaires libano-russe.

Ce serait le cas pour des projets d'investissement de plus de 10 milliards de dollars avalisés en avril dans le cadre d'une conférence internationale d'aide au Liban (Cedre) parrainée par Paris, et dont une partie sera exécutée par le secteur privé.

"Des entreprises russes ont en outre l'intention de s'implanter dans le nord du pays en vue de participer à la reconstruction de la Syrie", dit M. Sarraf.

Ce projet reste entravé, pour le moment, par "la réticence des banques locales à mener des échanges avec leurs homologues russes" du fait des sanctions occidentales contre Moscou adoptées en 2014, explique-t-il.

Le secteur bancaire libanais est déjà sous la loupe du Trésor américain, qui cherche à affaiblir le Hezbollah, allié de l'Iran et de Moscou en Syrie, en scrutant les flux bancaires "suspects".

- Armée et réfugiés -

La Russie cherche aussi à se forger une place de premier plan dans le paysage politique libanais, dominé par les influences étrangères et où les rapports de force actuels lui sont favorables.

Elle a lancé en juillet une initiative en faveur du retour des réfugiés en Syrie, un dossier épineux pour le Liban qui accueille 1,5 millions de personnes.

L'initiative, applaudie par l'ensemble d'une classe politique libanaise pourtant divisée sur la question syrienne, devrait permettre le rapatriement de 900.000 réfugiés, selon le président Michel Aoun, proche de Damas et du Hezbollah.

Moscou a aussi proposé à l'Etat libanais de lui fournir une aide militaire d'un milliard de dollars. Ce partenariat devait être avalisé en mars, mais le gouvernement "s'est désisté in extremis", indique M. Sarraf.

Beyrouth craint de perdre un soutien américain de taille dans plusieurs domaines, notamment militaire, qui s'est traduit par une aide à l'armée de 1,7 milliard de dollars depuis 2006.

"Si le Liban accepte une ligne de crédit russe, cela aurait des conséquences sérieuses sur les engagements américains", prévient Aram Nerguizian, co-directeur du programme militaire et civil du centre Carnegie au Moyen-Orient.

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