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Au Maroc, des proches de naufragés attendent que l'océan leur rende les corps

Les yeux rivés sur l'océan, Youssef attend que les vagues rejettent le corps de son frère, Yassine. Comme lui, des proches ont afflué de l'arrière-pays sur cette plage de Casablanca (ouest), après le naufrage d'un bateau de jeunes migrants marocains. "On prie Dieu pour qu'il nous ramène le corps afin de pouvoir l'enterrer", souffle le jeune homme, venu chercher son frère de 23 ans.

Depuis que le bateau s'est échoué samedi, 16 corps ont été repêchés ou rejetés par les eaux, selon les témoignages recueillis sur place par l'AFP. Les recherches se poursuivent, mais les espoirs de retrouver des survivants s'amenuisent au fil des jours. L'embarcation transportait 56 personnes, tous des jeunes issus de bourgades de la région rurale d'El Kelaâ des Sraghna (centre), selon les témoignages recueillis sur la plage Nahla, point de ralliement des familles.



Les autorités locales jointes par l'AFP n'ont pas confirmé ce chiffre, assurant ne pas savoir combien de passagers transportait l'embarcation à moteur. Trois rescapés ont été transportés, inconscients, dans un hôpital samedi et sont depuis rentrés chez eux.

"Pauvreté et chômage"

"L'embarcation pneumatique faisait plus de dix mètres", raconte un témoin, qui s'est rendu samedi sur la plage de Zenata où le bateau s'est échoué, à cinq kilomètres plus au nord, au lieu de rallier comme prévu les côtes espagnoles. A proximité d'un poste de secours de la protection civile, des petits groupes discutent sur la plage, des volontaires du quartier sont venus pour soutenir les familles des disparus et des surfeurs profitent malgré tout des vagues et du soleil.

C'est la pauvreté qui les a tués

Beaucoup campent sur place en attendant des nouvelles. "C'est la pauvreté qui les a tués", s'emporte Amina, une quadragénaire vêtue d'une djellaba noire et coiffée d'un voile beige. Comme d'autres, cette femme a fait 250 kilomètres pour "récupérer le corps de son neveu" et "faire son deuil". "Si ces jeunes avaient trouvé du travail, ils ne seraient pas partis... Le problème c'est la pauvreté et le chômage, il n'y a pas de routes, pas d'écoles, pas de travail dans notre région", lance-t-elle, les lèvres crispées et le regard furieux. "Yassine avait une licence en droit, il a fait tout ce qu'il pouvait pour s'en sortir mais ça n'a pas marché", regrette un de ses proches.

La région d'El Kelaâ, située à l'est de la capitale touristique Marrakech, fait partie de ces zones agricoles peu développées, mal desservies par le réseau routier et avec peu de perspectives d'emploi, selon des données officielles.

"Eldorado"

"Aucun responsable n'est venu nous voir", s'indigne Amina. Le drame n'a suscité aucun message officiel de condoléances. Des proches accusent des passeurs d'avoir trompé et escroqué les jeunes candidats à l'émigration, avant de les lâcher en mer. La presse locale a fait état de six arrestations, non confirmées par les autorités. Le Maroc est devenu une route migratoire majeure ces dernières années: les départs s'organisent le plus souvent depuis la côte méditerranéenne --à quelques encablures de la rive du sud de l'Espagne--, beaucoup plus rarement depuis Casablanca, à plus de 350 kilomètres des côtes espagnoles.




Les candidats au départ viennent le plus souvent de pays d'Afrique de l'Ouest. Mais ces deux dernières années ont vu se multiplier les tentatives de jeunes Marocains, prêts à tout pour quitter un pays marqué par de profondes inégalités.  La jeunesse, qui représente le tiers de la population du royaume de 35 millions d'habitants, souffre particulièrement de l'exclusion sociale : quelque 27,5% des 15-24 ans --soit près de 1,7 million de personnes-- sont hors du système scolaire, sans formation ou sans emploi, selon les chiffres officiels. L'an dernier, la mort d'une étudiante d'une vingtaine d'année, tuée par des tirs de la marine royale sur une embarcation qui tentait de rejoindre l'Espagne, avait mis le pays en émoi. En l'absence de données officielles, on ignore combien de Marocains tentent cette aventure périlleuse et parfois mortelle. "Le problème, c'est le chômage", estime Yazid Boussaboun, un acteur associatif local basé près de la plage Nahla. "Ceux qui étaient dans cette embarcation venaient de la campagne et fantasmaient sur 'l'eldorado européen'."

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